Noms de romans dans chaque rue
Qui d’ailleurs, n’est pas pacifiste et un peu poète dans cette capitale du bien-vivre et du bien boire, où un Alain Fournier, homonyme de l’auteur du Grand Meaulnes, s’occupe de bois, et où les gendarmes s’amusent eux-mêmes des petits articles dans lesquels on répète plusieurs fois leur nom ?
– L’un d’eux s’appelle Chameau, l’autre Foussard, bon, et après ? S’ils étaient méchants ou pleutres, on rigolerait, mais ils sont compréhensifs. Alors personne ne s’amuse ! Ils désarment les ironistes. Et puis, hein ? est-ce qu’on choisit son patronyme ?
– Est-ce qu’on choisit son nom ? remarque de son côté la femme du cantonnier. Mon mari s’appelle Balais. Quand il a lu ce nom sur le journal à la colonne des « curiosités », il a été le premier à rire avec ceux qui riraient. D’ailleurs, n’est-ce pas mieux ainsi ?
Ce qui préoccupe pourtant les habitants de La Chapelle-d’Angillon depuis les lignes qui ont fait de certains d’entre eux des vedettes, c’est moins de découvrir qu’elles ont révélé au « grand public » une des particularités de la ville, que de chercher à savoir qui en est l’inspirateur.
– C’est le curé, disent un ou deux anticléricaux, plus forts en gueule, d’ailleurs qu’en opinions farouches.
– C’est un mauvais plaisant, affirme le curé.
– C’est un gars qui voulait faire une farce aux gendarmes et a mis tout le monde dans le bain, répliquent d’autres.
Tout le monde ?
Pas sûr ! Car outre l’abbé Sanglier, le cantonnier Balais et les gendarmes, il y a un Loup, un Rat, un Chat, un Lèvre, dans le canton, en bref, de quoi meubler cent fables pour peu que l’on soit amateur de plaisanteries faciles.
A la conquête d’un sobriquet
Et quand le patronyme n’évoque ni ange, ni bête, ni don Camillo, ni Peppone, ni personne, on en appelle aux surnoms.
Promenez-vous dans les rues, dans les champs, le long de rivières, chacun là-bas, a le sien.
On a murmuré, à ce propos, qu’un jeune gendarme, fraichement affecté à la brigade, après un stage dans une autre région, demande le plus aimablement du monde à un mécanicien de la ville dont le sobriquet constituait dans son esprit, une appellation contrôlée.
« Monsieur Gapette voudriez-vous avoir l’obligeance de vérifier cette machine ? et que l’autre, depuis ne peut plus souffrir, qu’on l’appelle autrement que par ce surnom tant l’histoire l’a fait rire.
La Chapelle-d’Angillon vit ainsi sur des dictons dont elle s’amuse.
On a voulu lui en offrir une autre : celle de la lutte entre le curé et le maire. Celle-là, la ville l’a accueillie avec scepticisme.
Les héritages d’Alain-Fournier
Car personne n’a jamais vu don Camillo-Sanglier fêter l’anathème, face aux slaines de son église, contre le premier magistrat municipal Peppone-Gaumichon, son loyal adversaire, pas plus qu’on a entendu ce dernier, bûcheron solide, communiste par instinct, et non militant sectaire modelé par la propagande, demander au prêtre, devant les fonds baptismaux de baptiser son fils, Khouchtchev.
Et c’est pourquoi l’un et l’autre sont si populaires. Ils vivent chacun avec leur idéal.
Au nom de cet idéal, ils se font des concessions mutuelles. Au fond, ils sont poètes… comme Alain-Fournier entré lui aussi dans sa légende vécue sous l’aspect du Grand Meaulnes. Le maire a recueilli l’héritage de ce dernier sous forme d’un encrier de faïence en forme de cœur dont on vous dit, avec fierté, qu’il contint, avant l’autre guerre, l’encre sans laquelle l’œuvre la plus romantique de notre temps n’aurait jamais vu le jour.
Le curé pourrait dire de son côté, pour revendiquer le grand homme de sa paroisse, que la nièce de l’écrivain, la fille d’Isabelle Rivière, retirée à Dourgne, dans le Tarn, est entrée au couvent parce qu’elle était du parti de l’Église.
Mais l’abbé Sanglier, sur ce point, garde le silence.
Il préfère à la lutte d’influence la bataille pour la conquête des âmes du canton. Le maire agit dans le même sens.
Qui, dans ces conditions songerait à leur donner tort ?
CH. Dauzats