Gustave de Robert, en 1976, a publié ses mémoires à compte d’auteur.

Né le 18 février 1896 – Camarade, 091073, Ariège, Midi-Pyrénées, France
Décédé le 29 mai 1984 – Strasbourg, 67482, Bas-Rhin, Alsace, France, à l’âge de 88 ans

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Il avait 14 ans lorsqu’il est venu à Presly chez son frère


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VIERZON.

A cet arrêt, je m’en souviens parfaitement, je descendais sans hâte et, n’apercevant pas mon frère sur le quai, je me rendais tranquillement au Buffet où je demandais un café au lait. C’est là, attablé comme un petit homme, que mon frère, ébahi de tant d’audace me trouvait. Quelques heures après, nous arrivions chez mon frère, à PRESLY dans le Cher. J’étais en Sologne.

Je la trouvais si différente de notre Ariège que j’éprouvais en arrivant à Presly une impression pénible de dépaysement. Rien ici ne ressemblait à notre pays de Faux, ni la configuration, ni le paysage et moins encore les étangs et les lacs. Venu d’un pays de montagnes, j’arrivais du jour au lendemain dans un pays plat. Mais je l’ai aussi trop aimé pour ne pas faire revivre en moi les heureux souvenirs qu’il m’a laissés. C’était en 1910.

La maison d’école de mon frère, contrairement à l’idée que je m’en faisais, était située à la lisière de forêts de pins, un peu en dehors du bourg. Elle faisait partie d’un ensemble comprimant l’école de garçons, la Mairie et l’école de filles dirigée par l’aimable Mademoiselle Charles.

Aux portes d’une nature si nouvelle pour moi, mais si belle, l’endroit où j’allais vivre ma paraissait d’emblée idéal. Après ce rapide aperçu des lieux, j’étais heureux de me retrouver auprès de ma belle-sœur Henriette et de connaître mon adorable petite nièce de deux ans : Rolande. Je compris tout de suite que nous ferions, elle est moi, un couple d’enfants heureux. Cependant, en dépit de l’affection dont j’étais entouré, je souffrais, le premiers temps, de l’absence de mes parents. Je ne les avais jamais quittés et cette séparation m’était pénible.

Mais les distractions que me procurait mon frère et la rentrée des classes devaient assez vite adoucir mon chagrin. Mes contacts avec me nouveaux camarades étaient tout de suite excellents. C’étaient tous de braves garçons. Je me souviens avec émotion des LAVISSE, CHARLES, HODEAU et PROGNON et de biens d’autres dont j’ai oublié les noms ! Ce pauvre Charles, je le revois, handicapé, jouant aux billes avec une ardeur sans égale, sa béquille en mains. Que sont-ils devenus ? Qu’il est loin, mon Dieu, ce temps !

Un mur inachevé séparait notre cour de celle des filles. Il arrivait que par-dessus ce mur nous entretenions en secret un échange courtois et amoureux de correspondances style télégraphique avec nos compagnes. C’étaient de petits papiers ainsi rédigés : Je t’aime (signature). Je te fais un baiser (signature). Nous en faisions de petites boules que nous nous lancions. Ma bien-aimée s’appelait Odette ; Je ne lui ai parlé qu’une fois et encore en bredouillant, qui sait si elle est encore de ce monde ?

Ma première promenade en forêt

Ma première promenade en forêt avec mon frère et Rolande à califourchon, accrochée à ses cheveux, fut, pour moi, un ravissement. A peine étions-nous, sur la route d’Aubigny, à cent mètres de la maison, que des lapins, débouchant de partout, traversaient la route. Cette vision, peu commune, m’avait stupéfié. A deux cents mètres plus bas, mon frère tournait subitement à droite et nous rentrions dans une de ces adorables allées comme on en trouve en Sologne.

Bordée et souvent tapissée de bruyères à petites fleurs roses elle s’enfonçait dans la forêt sous un dôme de verdure fait de branches de pins et de bouleaux. Mon Dieu que c’était joli ! Et de cette nature si attachante et si douce en fin de journée, s’envolaient et détalaient tout à coup, au fur et à mesure que nous avancions, des faisans au plumage éclatant et d’innombrables lapins. Qu’ils étaient beaux ces faisans avec leur encolure bleu foncé et leur longue queue dorées !

Contrairement à leurs frères d’élevage, ils naissaient et grandissaient dans cette nature de rêve. Chère Sologne, que sont devenus ses anciens maîtres, amoureux de la nature et épris de liberté ! Il y avait bien les gardes, mais ils n’interdisaient qu’aux braconniers l’entrée de ces allées. Aussi en profitions-nous, ma petite nièce et moi, pour partir à l’aventure dans la forêt proche de chez nous. Nous ne nous lassions pas des envols de faisans et de perdreaux et de voir détaler les lapins. Quelquefois une biche effrayée s’en allait devant nous comme un éclair, ce qui provoquait chez Rolande un oh ! là, là ! D’autres fois, fatigués de marcher, nous nous asseyions sur un matelas d’aiguilles de pin. Alors, nous nous amusions à écouter les mille bruits de la forêt, du criaillement des faisans et cajolement des geais, au bruit des pommes de pin bombant sur le sol. Au-dessus de nos têtes, les écureuils faisaient les cent coups sautant d’une branche à une autre et donnant parfois l’illusion de s’envoler d’un pin à un autre. Combien ces souvenirs sont émouvants !

Une chasse à courre le Cerf était annoncée

Une chasse à courre le Cerf était annoncée pour bientôt. Déjà les premières banderoles aux couleurs vives apparaissaient sur les deux bords de la route allant vers Aubigny. Accrochées à un fil et pendant à un mètre cinquante environ au-dessus du sol, elles s’étendaient à perte de vue en direction de cette ville. Il y en avait tellement que l’on pouvait se demander si ce dispositif, s’apparentant à un ensemble de fête, n’avait pas été pris à la gloire d’un Grand de ce monde traversant le pays. La vérité était plus simple. Ces banderoles avaient pour but d’empêcher le Cerf traqué de s’éloigner du terrain de chasse.

Dans le pays de Faux j’avais souvent assisté d’une de nos fenêtres à la chasse à courre le Lièvre par la meute de chiens des frères Dupias. Mais j’ignorais tout de la chasse au gros gibier. Le hasard devait en cela me servir d’une façon inespérée. Après une journée épuisante de poursuite, la meute des châtelains avait finalement forcé la malheureuse victime, une bien jolie et innocente biche à venir mourir d’épuisement à quelques mètres à peine du grillage de notre jardin. J’assistais donc à cet horrible spectacle de l’hallali consistant en une sonnerie triomphale de cors annonçant que la bête était aux abois et qu’on allait l’achever et la dépecer. Vêtus de leurs plus beaux atours de chasse, chasseurs et chasseuses, à cheval, entouraient de leurs regards froids l’agonisante sous les accents de victoire des cors et les aboiements redoublés des chiens. Puis ce fut le coup de grâce et le dépècement de la bête. La chasse à courre était terminée. Horrible chose.

Ma belle-sœur était une fine cuisinière

Ma belle-sœur était une fine cuisinière. J’ai eu plus d’une fois l’occasion de le constater. Il faut dire que les amabilités dont la comblaient parfois les gardes des châteaux d’alentour éveillaient et entretenaient en elle son art culinaire. Ces raves serviteurs nous laissaient, à leur passage devant notre maison, soit un faisan, soit un perdreau ou un lapin. Lorsque ce gibier rissolait dans une cocotte, j’ai souvenance du fumet qui s’en dégageait à la ronde.

Comme accompagnement de choix à ces savoureux mets, une exquise galette, spécialité de Sologne, mettait fin au repas. J’allais la prendre dans la matinée chez le brave GERMAIN, boulanger. Ce dessert de qualité n’était réservé qu’au Dimanche, jour du Seigneur. Dans l’après-midi, mon frère et Germain se retrouvaient pour leur partie traditionnelle de billard. De notre côté, par beau temps, nous allions, ma belle-sœur, Rolande et moi, nous promener dans la campagne. Sur la route la Chapelle, aussi monotone que la plaine sur laquelle elle s’étirait, seuls les corbeaux, impeccablement vêtus de noir, nous tenaient compagnie. Ils étaient si nombreux dans un champ qu’ils donnaient l’impression d’un immense drap mortuaire posé là par hasard. Avec Rolande tout nous intéressait, les corbeaux surtout, mais il arrivait quelquefois à HENRIETTE de bailler fortement.

Presly était un petit bourg de la campagne solognote qui, mon Dieu, vivait bien. Il est vrai que sa situation dans un pays aussi giboyeux et riche en forêts et château, ne pouvait qu’aider à son développement et, dans une certaine mesure, à sa bonne tenue. Son Maire, châtelain des environs, y veillait particulièrement. A ses alentours, des étangs d’eau profonde et claire dans lesquels le ciel, par temps ensoleillé, se mirait, apportaient au paysage une note de gaité. En outre, leur apport en gros poissons, brochets et carpes notamment, n’était pas négligeable. A certaine époques de l’année les propriétaires procédaient à leur vidage.

J’eus la chance d’assister, accompagné de ma petite nièce, à l’une de ces opérations. Nous y avions été autorisés par mon frère et ma belle-sœur avant leur départ à Bourges. L’étang n’était pas très éloigné de Presly, mais, je ne saurais dire par quel moyen de transport nous étions amenés sur ses bords. Notre arrivée sur les lieux était pour nous deux, un émerveillement. L’eau s’étant déjà retirée aux trois quarts, nous nous trouvions subitement en présence d’un indescriptible et grouillant amoncellement d’énormes poissons à peine recouverts d’eau, se tordant et se détordant dans des bonds incessants. Nous nous regardions éberlués, moi, sans dire un mot, elle, avec ses oh là, là ! et ses œillades qui en disaient long. Ce devait être pour elle un monde à part qui surgissait !
Mais voici que des prélèvements étaient faits sur cette masse grouillante et que des charretées entières s’en allaient vers des destinations diverses. Et peu à peu l’eau claire remontait dans l’étang sous les rayons d’un soleil déclinant. En retard sur l’horaire nous rentrions alors à la maison où une semonce nous attendait.

En ce temps-là, à Presly comme à Faux, on buvait du lait pris directement chez le fermier. Heureux temps à jamais disparu ! Ici, comme là-bas, j’avais été chargé de la corvée matinale de lait. Un matin, avant le jour, j’étais allé le chercher dans une ferme situé à un kilomètre environ de Presly. Or, alors que je parvenais tout à coup, sur ma droite, des cris de détresse poussés par un animal. Je m’approchais prudemment et constatais, sans qu’il me soit possible de déterminer l’espèce, que l’animal faisait des bonds attirant à lui le treillage placé en bordure du bois. Je pensais alors que la bête venait d’être prise à un collet ou dans un piège à loup. Mais, m’approchant un peu plus, je reconnaissais enfin, à ses deux oreilles, un énorme lièvre. Il était pris au treillis par une de ses pattes de derrière. Alors laissant mes bouteilles sur place, je bondissais sur la bête que je parvenais à maîtriser après une lutte sévère. Je délivrais sa patte et, la prenant à bras le corps, je courais fier de mon exploit, le porter à la maison où mon frère et ma belle-sœur, encore au lit, m’accueillaient avec de gros rires.

J’ai toujours aimé les crieurs de rues. A Presly nous avions les crieurs de peaux de lapin. « Piau, piau, criaient-ils, le piaux de lieuvre et de lapineau », et les peits ramoneurs. Pour moi, qui aimais les entendre, je trouvais qu’ils agrémentaient la vie. Mais tout ce monde qui vivait dans la rue en y apportant de la vie a disparu, dans les villes tout au moins. La bruyante et empoisonneuse automobile a pris leur place. Je ne cesserai de la déplorer.

Par beau temps nous aimions faire, les dimanches après-midi, une longue promenade dans la campagne. J’en ai gardé un heureux souvenir. L’une des plus attrayantes était celle qui nous conduisait au château de Mauzé des Dreux-Brézé situé à trois kilomètres environ de Presly.

Nous cheminions dans un paysage envoûtant où la lande avec ses bruyères roses alternait avec de petits boqueteaux de bouleaux et des terres tapissées de bruyères et parsemées de pins. Si je me souviens bien, nous laissions, sur notre gauche un étang bordé de plantes aquatiques et dont les batraciens ne cessaient de se manifester par des coassements espacés mais constants. De ses eaux lumineuses, par temps ensoleillé, s’échappaient quelquefois des envols subits de canards sauvages. Le château était comme perdu dans ce paysage de charme. De style classique, je crois me souvenir qu’il était accueillant d’aspect et de couleurs chatoyantes, contrairement à l’aspect plutôt sombre de quelques autres châteaux de la même époque. Le retour à Presly, avec un soleil déclinant et dans la douceur et mélancolie des fins d’après-midi d’automne, égalait en beauté nos retours de promenade à Faux, mais avec une mélancolie, je crois, moins incline à la tristesse.

Blériot allait très prochainement voler sur son monoplan

Le bruit courait depuis quelques jours que Blériot allait très prochainement voler sur son monoplan, le même que celui sur lequel il venait de traverser la Manche, dans un endroit peu éloigné de chez nous. La nouvelle s’affirmait vite exacte et le vol aurait effectivement lieu un des prochains dimanche dans la campagne solognote. Au jour fixé, toute la Sologne et le Berry étaient au rendez-vous. Nous y étions aussi évidemment. Une immense plaine était noire de monde. Car voir s’envoler et voler Blériot était chose inimaginable jusque-là.

Monoplan Blériot piloté par M. Daucourt à Romorantin

A l’extrémité d’une très longue piste, l’aviateur, dans sa tenue de vol, attendait, avec son mécanicien, le moment de l’envol. La foule trépignait d’impatience. Le temps était splendide et sans vent. Autant d’atouts favorables à l’aviateur. Mais voici que celui-ci monte et prend place au poste de pilote. La foule devient subitement muette. Le mécanicien s’approche maintenant de l’hélice et, après un dernier regard vers le pilote, la met en marche. Le moteur s’allume aussitôt dans un nuage de fumée. Puis, après deux minutes à peine, mais qui n’en finissaient pas, l’appareil se mettait lentement à toute vitesse, suivi de sa longue trainée de fumée, un tonnerre d’applaudissements, le voilà qui décolle du sol. Volant bas au départ on le voyait prendre peu à peu de l’altitude tandis qu’en bas, sur les pelouses d’alentour la joie était délirante. Parfois, sous l’effet d’un courant d’air sans-doute, le monoplan tressaillait cependant qu’en bas l’anxiété était grande. Mais en haut le calme revenait vite. Plafonnant à une altitude proche semblait-il de trois à quatre cents mètres, Blériot survolait la plaine pendant une heure environ. Après quoi, le spectacle prenait fin aux applaudissements frénétiques de la foule.

1900 avec la course d’automobiles, 1910 avec le vol de Blériot furent deux dates qui marquèrent mon enfance. Elles demeurent tellement vivantes en moi qu’il m’arrive parfois de leur faire prendre rang dans mon esprit à côté de celles, bouleversantes et hors de comparaison, que nous ont apportées ces dernières décennies. Comme quoi ni le temps ni la grandeur ne semblent avoir de prise sur les impressions d’enfance !

Recensement 1911, 6M 0195, Presly

1911, 6M 0195, Presly – Hodeau

Rédigé par

Emmanuelle Toudert

École du Louvre. Guide touristique.
Licence des métiers de l'édition et des ressources documentaires.
Master Art-thérapeute.
Baptisée à La Chapelle-d'Angillon, le village de mes racines, en toute humilité je fais un retour à ma terre. "Humilité" = humus, terre.