Histoire de ma vie : texte intégral

Sand, George (1804-1876). Auteur

Edité par Gallimard. [Paris] – 2004

A 42 ans, en avril 1847, George Sand commence Histoire de ma vie dont la rédaction prendra huit ans. Somme méconnue, cet incontestable chef-d’œuvre raconte comment Aurore Dupin est devenue écrivain sous le nom de George Sand. Mais il se présente aussi comme une quête des origines d’une modernité exceptionnelle. Sand rappelle qu’elle est arrière-petite-fille du maréchal de Saxe par son père et fille du peuple par sa mère. Avec une rare lucidité, elle analyse le devenir soi d’un caractère, rappelle sa petite enfance à Nohant, les conflits familiaux qui la déchirent, les tensions qui habitent une famille brisée par la mort du père, la grande mélancolie qui s’ensuit jusqu’à sa tentative de suicide à 17 ans. Si elle évoque admirablement le passé, Sand sait aussi dire le présent et l’avenir : elle expose ses vues sur le devenir de la société, le rôle de la religion, la condition des femmes. Histoire de ma vie reste un modèle de vivacité et de courage, de franchise et de détermination. George Sand fonde un genre : l’autobiographie au féminin.


George Sand
Histoire de ma vie
Wolfgang Gerhard, 1855 (3 volumes, 13 tomes, p.–178).

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Page 111

Je dirai quelques mots de cette terre de Nohant où j’ai été élevée, où j’ai passé presque toute ma vie et où je souhaiterais pouvoir mourir.
Le revenu en est peu considérable, l’habitation est simple et commode.
Le pays est sans beauté, bien que situé au centre la vallée Noire, qui est un vaste et admirable site. Mais précisément cette position centrale dans la partie la plus nivelée et la moins élevée du pays, dans une large veine de terre à froment, nous prive des accidents variés et du coup d’œil étendu dont on jouit sur les hauteurs et sur les pentes.
Nous avons pourtant de grands horizons bleus et quelque mouvement de terrain autour de nous, et, en comparaison de la Beauce et de la Brie, c’est une vue magnifique ; mais, en comparaison des ravissants détails que nous trouvons en descendant jusqu’au lit caché de la rivière, à un quart de lieue de notre porte, et des riantes perspectives que nous embrassons en mont sur les coteaux qui nous dominent, c’est un paysage nu et borné.

Quoi qu’il en soit, il nous plaît et nous l’aimons.
Ma grand’mère l’aima aussi, et mon père y vint chercher de douces heures de repos à travers les agitations de sa vie. Ces sillons de terres brunes et grasses, ces gros noyers tout ronds, ces petits chemins ombragés, ces buissons en désordre, ce cimetière plein d’herbes, ce petit clocher couvert de tuiles, ce porche antique, ces grands ormeaux délabrés ces maisonnettes de paysan entourées de leurs jolis enclos, de leurs berceaux de vigne et de leurs vertes chènevières, tout cela devient doux à la vue et cher à la pensée quand on a vécu si longtemps dans ce milieu calme, humble et silencieux.

Le château, si château il y a (car ce n’est qu’une médiocre maison du temps de Louis XVI), touche au hameau et se pose au bord de la place champêtre sans plus de faste qu’un habitation villageoise. Les feux de la commune, au nombre de deux ou trois cents, sont fort dispersés dans la campagne ; mais il s’en trouve une vingtaine qui se resserrent auprès de la maison, comme qui dirait porte à porte, et il faut vivre d’accord avec le paysans, qui est aisé, indépendant, et qui entre chez vous comme chez lui. Nous nous en sommes toujours bien trouvés, et, bien qu’en général les propriétaires aisés se plaignant du voisinage des ménageants, il n’y a pas tant à se plaindre des enfants, des poules et des chèvres de ces voisins-là qu’il n’y a qu’à se louer de leur obligeance et de leur bon caractère.

Les gens de Nohant, tous paysans, tous petits propriétaires (on me permettra bien d’en parler et d’en dire du bien, puisque, par exception, « je prétends que le paysan peut être bon voisin et bon ami »), sont d’une humeur facétieuse sous un air de gravité. Ils ont de bonnes mœurs, un reste de piété sans fanatisme, une grande décence dans leur tenue et dans leurs manières, une activité lente mais soutenue, de l’ordre, un propreté extrême, de l’esprit naturel et de la franchise. Sauf une ou deux exceptions, je n’ai jamais eu que des relations agréables avec honnêtes gens. Je ne leur ai pourtant jamais fait la cour, je ne les ai point avilis par ce qu’on appelle des bienfaits. Je leur ai rendu des services et ils se sont acquittés envers moi selon leurs moyens, de leur plein gré, et dans la mesure de leur bonté ou de leur intelligence. Partant, ils ne me doivent rien, car tel petit secours, telle bonne parole, telle légère preuve d’un dévouement vrai valent autant que tout ce que nous pouvons faire. Ils ne sont ni flatteurs, ni rampants, et chaque jour je leur ai vu prendre plus de fierté bien placée, plus de hardiesse bien entendue, sans que jamais ils aient abusé de la confiance qui leur était témoignée. Ils ne sont point grossiers non plus. Ils ont plus de tact, de réserve et de politesse que je n’en ai vu régner parmi ceux qu’on appelle les gens bien élevés.

Rédigé par

Diane Lasne

Responsable administrative et financière