13 janvier 2025

Le patrimoine ça se partage

Présentée par Patrick Douault, Catherine Brault, Guillaume Vaudevire

Rencontre avec Jean d’Ogny propriétaire du château de La Chapelle-d’Angillon

Patrick Douault : Nous sommes dans votre demeure, racontez-nous un peu qui vous êtes.
Jean d’Ogny : Je suis l’heureux propriétaire du château de la Chapelle-d’Angillon qui n’a que 1000 ans d’histoire : du VIIIe au XVIIIe siècle, et une histoire colossale chargée d’aventures, de personnages de siècles d’architecture et compagnie.
Patrick Douault : Un château extraordinaire, c’est peut-être pas le plus beau château mais certainement l’un des plus intéressant de la région.
Jean d’Ogny : Oui c’est vrai, il y a des châteaux beaucoup plus beaux que le notre, mais nous sommes certainement le château le plus chargé d’histoire. En effet, nous étions la résidence des Princes & Seigneurs de Boisbelle, une sorte de petit royaume comme disait l’abbé Boyer au XVIIIe siècle tant est que nous étions totalement indépendants. On frappait monnaie sur la fin de la vie du royaume, mais on n’a jamais payé d’impôts.
Patrick Douault : Ce superbe château était donc la propriété de la puissante famille de Sully ou Seuly, je crois que les deux se disent depuis le XIe siècle.
Jean d’Ogny : En fait on démarre au VIIIe avec un dénommé Gilon de Seuly qui avait dû laisser ses drakkars sur je ne sais quel cours d’eau et du coup, il s’installe ici. Dieu merci sa femme est chrétienne. Elle le convertit, ça nous rappelle Clovis, et ce garçon va construire une chapelle pour recevoir les Pèlerins qui viennent à la suite d’un personnage hors du commun : Saint-Jacques de Saxeau, un ermite grec au moment de la querelle des iconoclastes. Il est venu mourrir au pied du château. Cela a crée un pèlerinage qui dure encore. Jacques de Saxeau est considéré comme étant le patron de notre village. Il a sa statue en haut de l’église du village.
Et voilà que Gilon de Seuly construit une chapelle pour accueillir les pèlerins, poussé par sa femme, lui-même se converti et on a dit, comme tout ce qui était écrit était en latin, Capella Domini Gilonis : la chapelle du seigneur Gilon. Et voilà que malheureusement il décède, donc sa femme reprend le flambeau, c’est elle qui avait tout démarré, et on a dit Capella Dam-Gilon : la Chapelle-d’Angillon.

Le donjon

Patrick Douault : Le château de la Chapelle-d’Angillon, qu’on appelle aussi le château de Béthune, est composé d’un ensemble de bâtiments ordonnés en rectangle autour d’une cour centrale flanquée aux angles de tours rondes, à l’angle sud il y a une tour carrée. Pour moi c’est un ensemble donjon très beau spécimen de l’architecture militaire. Je crois que c’est assez représentatif du département.
Jean d’Ogny : C’est le plus vieux donjon de la région avec toiture. Il y a des donjons encore plus vieux mais ils n’ont plus de toiture. Celui-ci a été construit au début du XIe siècle, il a donc très bientôt mille ans avec 2m80 d’épaisseur de mur et chose inouïe et unique en France je crois, des escaliers qui vont dans l’épaisseur des murs d’un niveau à l’autre. C’est assez remarquable et les visiteurs sont extrêmement surpris et impressionnés par ce passage.

Patrick Douault : Ce superbe château fut le lieu aussi des Princes de Boisbelle. C’est ici que vécurent deux grands bâtisseurs de cathédrales.
Dès le XIIe siècle, deux enfants qui naissent au château Henri et Eudes de Seuly. L’un va terminer Notre-Dame de Paris et son frère, prenant modèle sur Paris va démarrer la cathédrale Saint-Etienne de Bourges. C’est inouï et là il y a une première anecdote :
Notre-Dame de Paris a été consacrée au bout de 107 années et du coup cela a donné la très belle expression : ça ne va tout de même pas durer 107 ans.

Alain-Fournier

Dans ce lieu plane encore le souvenir du Grand-Meaulnes.
Jean d’Ogny : Oui car, Alain-Fournier, c’est une chance inouïe pour nous, il a fait le tour du monde. Il est né à la Chapelle-d’Angillon à une époque prodigieuse car ses deux parents étaient instituteurs et instituteur à la belle époque c’est-à-dire que quand l’instituteur entrait, la classe en blouses grises se levait. Il y avait l’école du respect et ils passaient leur temps, non pas à faire de la discipline, mais à enseigner. Et du coup, Alain-Fournier et sa sœur au fond de la classe, tantôt avec papa, tantôt avec maman, tels à « la gloire de mon père » avec Marcel Pagnol, Alain-Fournier est capable de lire et d’écrire.

La princesse de Clèves

Patrick Douault : Autre personnage important dans ce très beau château, la princesse de Clèves.
Jean d’Ogny : Elle était hors du commun, de fidélité. Monsieur de Nemours n’a pas eu la joie de pouvoir l’aimer comme il l’aurait voulu. Elle est restée d’une fidélité extraordinaire à son mari et donc elle a servi de modèle à Madame de la Fayette et c’est le premier roman psychologique de la littérature. Nous sommes à la tête, avec joie, de deux grands romans français.

Mais auparavant, nous avons eu trois femmes exceptionnelles, trois princesses Marie d’Albret :
Marie d’Albret, de la famille qui nous donnera beaucoup plus tard, Henri IV.
Ces trois princesses d’Albret sont des femmes remarquables.
Charles Ier d’Albret (13681415), connétable de France, il épouse Marie de Sully, veuve de Guy VI de La Trémoïlle
Marie d’Albret († 1486), épouse Charles de Bourgogne (1414-1464), comte de Nevers et de Rethel
Marie d’Albret (1491-1549), comtesse de Rethel, épouse en 1504 Charles II de Clèves (1491-1521), comte de Nevers

Patrick Douault : Aussi, un autre personnage très important : j’ai entendu dire que le grand Sully, ici, aurait fait son royaume.
Jean d’Ogny : Tout à fait, on lui doit l’éternel Pont Neuf à Paris, on lui doit la place des Vosges, on lui doit l’Arsenal qui est maintenant une très belles bibliothèque et on lui doit les routes toutes droites qu’il faisait tracer la nuit à la chandelle comme le faisait déjà les Romains. Sully veut pour son petit royaume, avec l’accord d’Henri IV, dont il était le grand ministre, il veut une capitale.
Il fait construire la ville d’Henrichemont qui veut dire : Mon cher Henri. Henri IV est donc pour une première fois à l’honneur, mais il va haut-delà et il demande à Salomon de Brosse, le grand architecte du palais Médicis à Paris, le Sénat, l’architecte de la place des Vosges, l’architecte de la terrasse du château et du parlement de Bretagne à Rennes. Et bien, il lui dit : Maitre vous allez prendre le blason de la Navarre, le blason d’Henri IV qui est très géométrique et c’est le blason de la Navarre qui sera le plan d’urbanisme de la ville d’Henrichemont.

Galerie du XVe siècle

Patrick Douault : plein de belles choses à l’intérieur du château.
Jean d’Ogny : Nous avons grâce à l’une des trois princesses Marie d’Albret, avec un sculpteur florentin qu’elle a récupéré, elle a fait construire cette galerie dont les colonnes sont à double galbe.

Par miracle, comme tout avait été démonté à la Révolution, on a retrouvé dans une des tours qu’on était en train de restaurer, au sous-sol, trois chapiteaux, ci-fait que nous avons cinq chapiteaux authentiques deux en authentoque, mais nous avons tout remis d’aplomb et sous cette galerie, unique en France, on jouait au jeu de paume et on envoyait la balle, c’était l’époque de la grande courtoisie, on prévenait le coéquipier qui disait : tenez, tenez. les anglais, qui passaient par là, sont repartis en prononçant t.e.n.e.z à l’anglaise : tennis. Et puis s’ajoute à ça, le fait que quand on gagnait on avançait de quinze pieds : 33 cm. Vous savez que les pieds servent encore pour la dimension des bateaux à voiles et à la hauteur des tuyaux d’orgue. Pour le jeu, on avançait de quinze pieds et encore de dix pieds. Ce qui a donné pour les Anglais 15, 30, 40 et comme ne plus les Anglais nous renvoient la balle, avec la raquette. Les Français acceptent la raquette mais du coup on ne peut plus jouer sous la galerie. On va jouer devant la galerie et inversement se mettront sous la galerie, les amis et les spectateurs, d’où la très belle expression française : amuser la galerie.

Henrichemont, Charleville-Maizière et Richelieu

Patrick Douault : Nous allons partir un petit peu ailleurs puisque la Chapelle-d’Angillon a été l’inspiration de deux autres villes :
Jean d’Ogny : Henrichemont ; Charleville-Maizière construite par Charles de Gonzague, n’ayant pas de dauphin, ils ont vendu le petit royaume, c’est Sully qui l’achète, mais il signe son départ avec cette remarquable ville de Charleville allié à Maizière sur le plan, le même plan par Métézeau et Salomon de Brosse de la place des Vosges. Il y a aussi une troisième ville qui est aussi du XVIIe siècle, c’est Richelieu et ces trois villes dont deux sont réalisées par des gens ayant régné à la Chapelle-d’Angillon. Ces trois villes servent encore de modèle à l’école des Beaux-arts à Paris, quai Malaquais dans le domaine de l’urbanisme.

Le pèlerinage de Saint-Jacques de Saxeau

Jean d’Ogny : Jacques de Saxeau qui est un ermite grec au moment de la querelle des iconoclastes va prendre son bâton de pèlerin avec ses icônes sous le bras et il va à Jérusalem. De Jérusalem il continue son pèlerinage par Rome et il cherche à rejoindre le cœur de la France et il arrive à Lugdunum à Lyon puis après à Avaricum à Bourges et le voilà qui termine sa vie en bas de la première construction en bois réalisée par Gilon de Seuly. Il s’installe là en saint homme et des miracles se produisent. Il a nourri les âmes des gens du coin avec la santé par le miel et le spirituel. Du coup, il y a des miracles et il prévient de sa mort. Il y a des pèlerinages qui durent encore et qui a plus de 1000 an le 19 novembre. La messe dans la chapelle du château est à 18 heures et on va suivant le temps, à la grotte qui est dans les murs de l’enceinte et on démarre par la messe puis la procession et on inverse selon le temps.

©Christelle Delcher C3D

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Rédigé par

Jean-Louis Chabin

Agriculteur à la retraite. Détenteur de transmission orale.