Redécouvrir les métiers d’art
Préface d’Emmanuel Le Roy-Ladurie

Éditeur ‏ : ‎ Hachette (1 janvier 1976)
Langue ‏ : ‎ Française
Broché ‏ : ‎ 191 pages
ISBN-10 ‏ : ‎ 2010035097
ISBN-13 ‏ : ‎ 978-2010035098

Morte la dentelle ? Tout portait à le croire. Son destin reposait entre les mains de trois vielles dentelières à Alençon. Au Puy, ce n’était guerre plus brillant. Pourtant, rien n’est perdu. La dentelle a ses militants. Ils ont lancé une véritable « opération survie ». L’Administration suit. Le mouvement reprend : la résurrection commence avec de nouveaux conservatoire, des ateliers, des écoles. L’art de la dentelle a derrière lui cinq cents ans d’histoire et connaît aujourd’hui une nouvelle jeunesse.

La dentelle d’Alençon a été inscrite sur la liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité par l’UNESCO le 16 novembre 2010.

Comme la dentelle aux fuseaux, la dentelle à l’aiguille procède d’un dessin. Elle met en œuvre un matériel très rudimentaire, mais la technique est extrêmement élaborée.

Aux premiers balbutiements de la dentelle à l’aiguille, le dessin dépendait de l’inspiration de la dentellière, qui imaginait à sa guise. Puis très vite, dès le XVIe siècle, on vit apparaître les premiers ‘lives de patrons » destinés aux ouvrages de dames et souvent conçus dans les monastères. M. Félix Boulard, auteur de la Dentelle d’Alençon 1, a retrouvé dans les registres du tabellionnage la trace de cinq dessinateurs de métier qui exerçaient à la fin du XVIIIe siècle.
La dentelle a eu ses styles, comme les meubles et les demeures. Sous Louis XIV, les maîtres des Gobelins – Bérain et La Brun notamment – ont dessiné de somptueuses compositions pour la dentelle d’Alençon. Avec Louis XV, la pompe s’efface devant la grâce et la légèreté : bouquets, boucles et nœuds prolifèrent. Puis ils se rétrécissent en fleurettes et en petits pois sous Louis XVI.

Le style devient ensuite sévère et compassé avec l’arrivée de Napoléon 1er. Ensuite, c’est l’éternel recommencement. Depuis des années les dentellières d’Alençon décalquent les dessins d’autrefois. Le renouveau de la dentelle a pourtant ravivé un certain désir de création. On parle d’expériences possibles avec des graphistes contemporains et même avec des peintres célèbres.
« Si quelques grands artistes d’aujourd’hui, écrit M. Pierre Dehaye dans son rapport sur les difficultés des métiers d’art, consentaient à se pencher sur les sujétions du point de France et à concevoir pour lui des dessins originaux, ce serait assurément un élément très important pour relancer la renommée et l’activité de cette manufacture en lui donnant de nouvelles chances de débouchés. »

Aucun artisan d’art ne peut se piquer d’avoir des instruments de travail aussi modestes. C’est le matériel de base de la couturière : du fil et des aiguilles.
Le fil est toujours en lin. Il se commande en petites quantités. Parce que le rythme de production est très lent et parce que le fil stocké trop longtemps risque de se « brûler ». Six grosseurs de fil (700, 900, 1 300, 1 450, 3 000, 6 000) sont utilisées. Le fil n° 6 000 est d’une extrême finesse. Les historiens de la dentelle mentionnent qu’un seul kilo de ce fil suffirait pour relier Alençon à Paris.
Dans la Flandre d’autrefois, les fibres de lin étaient, dit-on, choisies une à une, d’après leur longueur, leur poli et leur finesse. Puis elles étaient tordues à la main, avant de passer sur le fuseau et sur le rouet.
Ces fabrications ne sont bien sûr qu’un souvenir.
Le lin d’Alençon est maintenant confectionné en usine. Non sans mal si l’on en croit les dentellières : les quantités sont si réduites que l’industriel hésite à mettre sa chaîne en route pour si peu. Le dernier approvisionnement remonte à plusieurs années.
Les aiguilles sont des aiguilles à coudre banales, dont le chas doit être minuscule (n°10 à 14). Elles sont fabriquées par la maison Bohin.
Le parchemin sur lequel va être reproduit le dessin est en peau de mouton teintée en vert. Parce que cette couleur fatigue moins la vue. Les parchemins sont fournis par un fabricant de peaux. La maison Bourgoin.
Il faut, enfin, une toile de coton ou de fil en double épaisseur sur laquelle sera posé le parchemin.

C’est une science non écrite qui se transmet de mains en mains depuis le XVIIe siècle. Le fil est devenu si ténu qu’il risque de casser. Il n’y a plus que deux personnes au monde qui connaissent toutes les subtilités du point d’Alençon.
Dans les projets de sauvetage de la dentelle figure au premier chef la préservation de la technique. Une sorte de traité de dentelle, de manuel pratique, sera rédigé d’après les explications de la sœur directrice, qui commentera au magnétophone les huit étapes du point d’Alençon.

• La reproduction du dessin

Il est le plus souvent reproduit à l’encre bleue ou rouge sur un simple papier. Il sert à reporter sur le parchemin les contours du motif par piquage à la main.

• Le piquage

A l’aide d’une aiguille montée sur un support, on pique le dessin de trous rapprochés, selon la ligne qui forme le contour du motif.

• La trace

Le parchemin piqué est placé sur un morceau de toile en double épaisseur. L’ouvrière fait alors la trace. A l’aide de deux aiguilles, travaillant simultanément, l’une à fil simple, l’autre à fil double, elle construit ainsi la charpente sur laquelle va reposer son ouvrage. Elle fixe le fil double sur la trace à l’aide du fil simple, passé dans les trous du piquage. En fin d’opération, le dessin fait d’un fil double remplace le trait du papier le travail proprement dit (le réseau*, le rempli*, les modes*, la brode*) peut commencer.

C’est le fond de la dentelle sur lequel va venir se greffer un paysage de feuilles, de fleurs ou de rosaces. Il forme une sorte de tulle entièrement fait à l’aiguille. L’ouvrière repasse trois fois dans chaque alvéole avec une minuscule aiguille et un fil d’une finesse extrême. Le réseau se compose de mailles bouclées et tortillées qui s’alignent, rang par rang, pour former le fond du motif.

C’est la base du décor : fleurs, feuillages, volutes. Il est fait de mailles bouclées et tortillées mais beaucoup plus serrées. Plusieurs types de points peuvent être utilisés : gaze claire, point mignon, point à trous, etc.

Véritable dessin à l’aiguille, c’est la partie la plus délicate du point d’Alençon. L’ouvrière tend des fils avec un crin de cheval noir (qui sera retiré par la suite), les festonne, les garnit de picots et forme des rosaces, des étoiles, des écailles. La variété de ces points ajourés est très grande.

Un petit feston vient sertir le motif et rehausser tous les contours du dessin. Pour donner un maximum de relief au contour extérieur, la brode se fait avec un crin de cheval blanc qui restera dans la dentelle.
Viennent ensuite une série d’opérations diverses et très minutieuses. La dentellière passe un rasoir entre les deux toiles pour retirer le parchemin : c’est le levage*. Elle retire tous les petits fils qui sont au dos du motif : c’est le régalage*. Puis elle lisse les bords avec une « pince de homard » : c’est le luchage*. Enfin, c’est l’assemblage de tous les motifs. Il doit être solide et si parfait que l’œil ne puisse en apercevoir la trace lors de l’incrustation de la dentelle dans un napperon ou un mouchoir.
L’organisation du travail était autrefois extrêmement planifiée. Le partage, effectué par le chef d’atelier, répartissait les morceaux entre les dentellières selon leur capacité ou leur spécialité.
Dans Histoire du point d’Alençon, Mme Despierres cite l’exemple d’une garniture de robe commandée en 1854 par l’impératrice Eugénie et qui avait été « partagée » en cent cinquante-cinq morceaux.
Ainsi, chaque ouvrière s’était peu à peu spécialisée. Elle avait ses modèles, ses succès, ses thèmes, nés à la fois de son doigté et de son imagination. C’était son « secret », qu’elle gardait jalousement par-devers elle. Si bien qu’il y eut presque autant de secrets que de dentellières. C’est ce que l’on a appelé le secret du point d’Alençon. Aujourd’hui, tout se fait à l’atelier, sans plus de mystère.

Les différents points de dentelle à l’aiguille

Du point le plus gros au point le plus fin :
* Point de Venise
* Rosaline
* Point de France
* Point d’Argentan
* Point de Sedan
* Point de Bruxelles
* Point d’Alençon


1 Imprimerie alençonnaise, Alençon 1924.

1902

Dentelle – Le point de France à l’aiguille 1665-1675
Livre – Les manufactures de dentelles de Colbert par Nicole Ovaere-Raudet
Dentellière et coiffes berrichonnes
Les coiffes traditionnelles berrichonnes – La carrée de La Châtre


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Rédigé par

Emmanuelle Toudert

École du Louvre. Guide touristique.
Licence des métiers de l'édition et des ressources documentaires.
Master Art-thérapeute.
Baptisée à La Chapelle-d'Angillon, le village de mes racines, en toute humilité je fais un retour à ma terre. "Humilité" = humus, terre.