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Le 21 août 1944, un engagement entre une colonne hippomobile allemande et des maquisards a lieu vers 11 heures sur la RN 140 au niveau de la côte du Pic Montaigu, commune de Saint-Palais, dans le Cher. A ce propos, Michel Pigenet et Marcel Cherrier écrivent dans leur livre paru en 1975 : « Combattants de la Liberté », le texte suivant :
« Le même jour, à 10 heures du matin, un agent de liaison porte au lieutenant FTP « Roger » le message suivant : « Capitaine Baptiste au lieutenant Roger. Te signale convoi hippo très important. 9 h 45 Saint-Georges, haut du Pic 11 heures. Attaque, bonne chance, Baptiste »
« Sur le champ une équipe de 21 hommes est formée et gagne en camion le Pic Montaigu, sur la route Bourges-Gien. Une surprise désagréable attend les maquisards à leur arrivée : les Allemands sont en avance. Rapidement les 4 F-M (fusil-mitrailleur) ouvrent le feu. Pendant près d’une heure et demie la vingtaine de FTP tient tête à plus de 700 soldats. Mais de nouveaux renforts nazis font craindre l’encerclement, les patriotes battent en retraite et rejoignent leurs camions en bon ordre. Les pertes allemandes sont lourdes : 53 morts, 70 blessés, 21 chevaux abattus ».
Une lecture attentive du livre amènera à la constatation qu’il s’agirait là d’un des épisodes les plus sanglants survenus dans le Cher, en 1944.
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L’embuscade
Quelques instants plus tard, un fusil-mitrailleur des maquisards ouvre le feu et vide, d’une seule rafale, un premier chargeur de 25 cartouches. Les deux éclaireurs de pointe allemands éliminés, le tireur concentre son tir sur la colonne. Dire que le tireur n’enlève pas son doigt de sur la queue de détente de son arme, revient à constater que pour abattre deux hommes séparés par la route, puis diriger le tir vers les premiers éléments situés 100 m plus bas, des balles se sont perdues entre les cibles successives.
Dès la fin de ce premier tir, on note la réplique allant crescendo des armes individuelles allemandes, réaction normale d’une troupe attaquée, laquelle tire dans toutes les directions, avant de concentrer ses feux sur l’endroit d’où proviennent les tirs adverses.
L’Ordonnance Sperrle du 12 février 1944 stipule que : « La troupe est tenue de riposter immédiatement aux attaques terroristes, quitte à ouvrir le feu sur la population civile ».
Cette ordonnance décharge de tout risque de condamnation en cour martiale les soldats allemands, les enjoignant à incendier les maisons où les maquisards sont supposés avoir séjourné.
Mieux, un chef qui ne ferait pas appliquer ces consignes à ses hommes serait passible de sanctions. L’ordonnance estime que prioritairement la sécurité des troupes et l’autorité de l’armée allemande doivent être préservées.
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Réaction allemande
Mais déjà une seconde, puis une troisième rafale se font entendre. Puis le F-M cesse son tir définitivement, laissant la place à une fusillade nourrie, résultat de la réaction allemande.
Avant la fin de la première rafale, fatale aux deux éclaireurs de pointe, nombre d’Allemands appartenant à la tête de la colonne, en particulier ceux qui effectuent la montée à pied, se trouvent à l’abri dans les fossés avant de gagner la forêt. Ceux qui occupent encore les voitures sautent à terre et trouvent une protection dans la futaie. Un problème se crée avec l’affolement des animaux, dont certains sont abattus, obligeant les conducteurs des autres attelages à les empêcher de chercher à se sauver dans toutes les directions.
Les éléments de tête de la colonne entament sans tarder leur progression vers l’origine des tirs, pour porter secours aux éclaireurs de pointe. Les Allemands avancent rapidement des deux côtés de la route, en tiraillant, protégés par les arbres de la forêt, vers les maquisards qui leur causent des pertes.
Il faut tenir compte de la configuration de la route beaucoup moins large qu’actuellement, qui se trouve dans la première partie de la côte en remblai, permettant depuis le pied de celui-ci une progression aisée et sécurisée. Et si les maquisards tirent sur la colonne, des tireurs allemands désormais abrités, qui disposent aussi d’armes automatiques collectives, telle la MG 42 à la cadence de tir de 1 550 coups/minute, plus performantes qu’un F-M 24-29, qui seront utilisées, ciblent le tireur du fusil-mitrailleur et rendent sa position intenable.
Si le fusil-mitrailleur ne lâche que 3 rafales tout en bénéficiant de la surprise, c’est en raison d’une vive réaction adverse, contraignant les maquisards à abandonner leur position. L’engagement au total n’aura guère duré plus de 5 minutes. Quelques tirs sporadiques viendront plus tard ponctuer un retour à la normale. On peut penser que des animaux blessés sont achevés. Des explosions plus sourdes de grenades incendiaires se feront entendre. L’une d’entre elles lancée par-dessus le toit du bâtiment abritant le four à briques, explosera dans une gouttière, déchiquetant celle-ci.

Les Allemands, contrairement à ce qui est écrit, n’ont pas eu besoin de renforts pour rester maitres de la situation et ceci d’autant plus facilement que les maquisards ont abandonné rapidement leur position.
D’ailleurs, peut-on croire sérieusement que les 700 Allemands, tapis dans les fossés, se seraient laissé tirer dessus pendant 1h30, tuer et blesser les uns après les autres, sans réagir, sans riposter, ni réussir à gagner 100 m de terrain les séparant des maquisards, en attendant des renforts ?
Nous fera-t-on croire aussi que les conducteurs des véhicules ayant transporté les maquisards de Mery-ès-Bois et de Saint-Palais ont abandonné ceux-ci, pour venir faire le coup de feu avec leurs camarades ?
Les Allemands mettront, certes, environ une heure pour ramasser leurs morts, soigner les blessés, reconstituer les équipages dont les chevaux ont été abattus, avant d’opérer un demi-tour. Un cheval s’étant échappé sera récupéré le lendemain dans les environs.
Pourquoi la colonne ne continue-t-elle pas son chemin et préfère retraiter ? On peut penser que le commandant de cette troupe estime qu’être attaqué à l’entrée de la forêt, laisse augurer un harcèlement probable durant la traversée de celle-ci. Les blessés nécessitent des soins.
Il estime aussi qu’il ne dispose pas des moyens suffisants pour faire face à cette éventualité.
Ensuite il est midi et la troupe a perdu une heure. Il reste 50 km à parcourir pour arriver sur la Loire à une moyenne de 5 km/h.
Et puis il faut prendre en compte le moral des hommes, officiers inclus, composant cette colonne. Réussir à franchir la Loire, rejoindre le gros des troupes allemandes, signifie reprendre le combat contre les unités alliées, voire être engagé contre les troupes soviétiques qui ne font pas de détail. Ne pouvoir s’échapper, conduit à être prisonnier, de préférence des Américains, plutôt que des Russes. Il y a sûrement là un choix qui s’impose à cette date à nombre de soldats allemands, qui n’ont plus le mordant et le moral nécessaires pour surmonter de petites épreuves, telle l’embuscade du Pic.

Représailles allemandes
Les habitants du hameau des Giraudons, ayant quitté leurs maisons proches de la route à l’approche de la colonne, voient celles-ci brûler. Les Allemands incendient la grange de Camille Auclin, la maison de Gabriel Desmoulières, le Café du Pic, une maison appartenant aussi à Camille Auclin un peu plus bas de l’autre côté de la route.
Un début d’incendie se déclare dans la « Grande maison » de la briqueterie, mais sera maitrisé. Un engin explosif sera déposé sous la cheminée du four Hoffmann, mais repéré et neutralisé. La scierie fonctionnant en bordure de la route des Simons, sera entièrement détruite. Un début d’incendie se déclare à la Pinauderie, mais sera circonscrit. Une grenade lancée dans la maison de Paul Landry, ne fera d’autres dégâts qu’un trou dans le sol. Les habitants des Bardys voient la fumée résultant de l’incendie s’élever dans le ciel.
Les auteurs ne font pas mention de ces représailles. Pourquoi ?

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Repli de la colonne allemande
Lors du repli de la colonne, si de nouveaux éclaireurs de pointe remplissent leur mission, il existe aussi une arrière-garde fermant la marche, opérant avec un léger retard par rapport à la queue de la colonne. Composée de soldats qui se trouvaient en tête de celle-ci au moment de l’embuscade et qui ont vu leurs camarades mourir, nul doute qu’un certain nombre d’entre eux vont chercher à les venger.
Un de ses membres contournera un bâtiment de la ferme du Pet de loup, pour regagner la route en passant par la cour. Là, il tombera nez à nez avec la « mère Mazaire » : Léonie Desmoulières, laquelle ne voyant plus passer de voitures s’était aventurée hors de son logis. Elle dira le lendemain à ma mère allant comme tous les jours chercher son bidon de lait, n’avoir jamais eu aussi peur de sa vie. Voyant qu’il s’agissait d’une femme, le soldat ne tirera pas. Une chance dont ne bénéficiera pas Guéritat, un agriculteur de Bouy, abattu alors qu’il apportait son bidon de lait en bordure de la route nationale. Un autre habitant de Fussy sera lui aussi abattu.

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Réprimande de Joseph Desmoulières (1898-1962)

Toujours selon Roland et Guy Desmoulières, l’embuscade du 21 août vaudra aux membres du groupe de Saint-Palais, et surtout aux maquisards FTP une sévère réprimande de la part de Joseph Desmoulières, maire de la commune, mais aussi coordonnateur du maquis local FFI. Le motif : le lieu de l’embuscade à proximité d’un hameau était très mal choisi. Que l’embuscade ait lieu certes, mais qu’elle concerne l’avant ou l’arrière, voire l’avant et l’arrière de la colonne profondément engagée dans la forêt. Il semble que ce soit le scénario retenu au départ.
Aussi quand on lit dans Historique des maquis du Cher-Nord Ivoy et Menetou (un document dont je n’ai pas trouvé la signature de son ou ses auteurs), que : « Joseph Desmoulières a mené de belles embuscades au Pic Montaigu », on ne peut qu’en douter et considérer cette affirmation comme fausse.
Compte tenu qu’il était propriétaire à parts égales avec ses 5 frères de la briqueterie du Pic, il n’avait aucun intérêt à provoquer des embuscades à proximité de l’usine, avec comme satisfaction de voir celle-ci détruite, suite aux représailles de l’occupant.
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Des questions se posent :
1°) le lieu choisi pour l’embuscade était-il le plus convenable ? Si le but de l’opération consistait à faire rebrousser chemin à la colonne allemande en lui infligeant des pertes mineures, l’objectif est atteint. A-t-on pensé aux éventuelles représailles allemandes en immobilisant la colonne en plein milieu du hameau des Giraudons ?
2°) Pourquoi mentionner l’arrivée de renforts ennemis qui ne sont jamais venus ?
3°) Pourquoi souligner la présence de quatre F-M « qui ouvrent le feu », alors qu’après l’accrochage un seul emplacement sera découvert avec quelques douilles vides à proximité. Où se trouvaient les 3 autres F-M restés muets, impliquant, qu’au moins une demi-douzaine de maquisards n’était pas au contact ? J’ai aussi évoqué le cas des conducteurs des véhicules.
4°) Pourquoi dans ce cas, écrire que les 21 maquisards ont tenu pendant 1h30, alors que les témoins les plus généreux, assurent que l’engagement a duré moins de 10 minutes ?
5°) Pourquoi passer sous silence les représailles allemandes ? Sans aucun doute parce qu’elles résultaient de l’action de maquisards FTP.
6°) Mais surtout, pourquoi déformer la vérité historique et grossir inconsidérément les pertes de l’ennemi, que l’on ne peut quantifier, (ce que les auteurs admettent page 156 de leur ouvrage, pour l’engagement vers Saint-Just), à l’exclusion des chevaux abattus restés sur le terrain ?
L’équation semble simple : 75 cartouches tirées par le F-M et 144 hommes et animaux touchés. Chaque balle tirée peut-elle systématiquement atteindre deux êtres vivants ? Pas de balles perdues ? Il a été démontré que si, pour la première rafale.
Conclusion
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