« A quoi sert de savoir lire et écrire puisque les bœufs n’en seront pas mieux conduits, ni les champs plus fertiles ? Nous avons mangé du pain sans savoir lire et nos enfants feront comme nous… »
C’est en ces termes, rapportés par un instituteur de Genouilly en 1861, que raisonnaient les gens de nos campagnes. Il a fallu plus d’un siècle, de la Révolution à la guerre de 14-18, pour que cette barrière des mentalités soit franchie et que l’école prenne place peu à peu dans le paysage berrichon. Daniel Bernard, co-auteur de « Notre école au bon vieux temps » (ED; Horvath), nous raconte les lents progrès de l’instruction en Berry au siècle passé.

Dans chacune des régions de France le recul de l’analphabétisme est une des conséquences de l’application de la politique scolaire menée dès la Monarchie de Juillet et intensifiée sous le régime républicain. La fondation de nouvelles écoles qui fait suite à l’application de la loi Guizot (1833), puis la scolarisation généralisée avec les lois de la République, dont l’un des objectifs était de provoquer une fréquentation plus régulière, ont été les étapes déterminantes de cette longue « victoire sur l’ignorance »…

L’organisation de l’instruction publique remonte au décret du 30 vendémiaire an II (21 octobre 1793), date à laquelle la Convention institue des écoles primaires dans toutes les communes. Les objectifs sont alors ambitieux :

« les enfants reçoivent dans ces écoles la première éducation physique, morale et intellectuelle, la plus propre à développer en eux les mœurs républicaines, l’amour de la patrie, et le goût du travail. Ils apprennent à parler, lire, écrire la langue française. On leur fait connaître les traits de vertu qui honorent le plus les hommes libres, et particulièrement les traits de la révolution française les plus propres à élever l’âme, et à les rendre dignes de la liberté et de l’égalité. Ils acquièrent quelques notions géographiques de la France. La connaissance des droits et des devoirs de l’homme et du citoyen est mise à leur portée par des exemples et par leur propre expérience. On leur donne les premières notions des objets naturels qui les environnent et de l’action naturelle des éléments. Ils s’exercent à l’usage des nombres, du compas, du niveau, des poids et mesures, du levier, de la poulie et de la mesure des temps. On les rend souvent témoins des travaux champêtres et des ateliers : ils y prennent part autant que leur âge leur permet ».

Décret du 30 vendémiaire an II

Face à ce programme original et novateur, d’innombrables difficultés vont bientôt surgir. En Berry, comme en beaucoup de régions françaises, se pose tout d’abord le délicat problème du recrutement des instituteurs. Des municipalités abandonnent tant le problème parait insoluble ; pourtant dès 1794, quelques communes ont choisi leur maitre et il y a tout lieu de croire qu’il exerce ses fonctions. Mais une autre difficulté vient se greffer aux précédentes ; loger l’instituteur et trouver un local propre à héberger les élèves.

Choisir des enseignants « capables » ne va pas sans poser des cas de conscience à l’administration : le 28 avril 1795, le procureur syndic d’Argenton remarque que « plusieurs d’entre eux sont à la vérité, capables d’apprendre à lire, à écrire et d’enseigner les premières règles de calcul simple ; mais on ne pourrait pas exiger d’eux qu’ils enseignassent à leurs élèves les principes de l’arpentage, les éléments de la géographie, l’histoire des peuples libres, ni même l’orthographe et la grammaire françaises. On pourrait encore moins l’exiger des institutrices dont la plupart pu exercées dans les principes de la lecture, de l’écriture et du calcul, auraient besoin qu’on les enseignât elles-mêmes : aussi voit-on (…) qu’on n’a pas trouvé autant d’institutrices que d’instituteurs. D’où il résulte que si, dans les communes de la campagne, on voulait se borner à ne faire apprendre aux enfants qu’à lire, écrire et calculer, les instituteurs nommés s’en acquitteraient assez bien ; mais qu’il n’en serait pas de même des institutrices dont le savoir est assez borné. »

Dans un tel contexte, l’administration déclare « qu’il vaut mieux momentanément manquer d’instruction que d’exposer la jeunesse à en recevoir une vicieuse » !

Implanter le système éducatif dans le milieu rural apparaît comme une nécessité ; pourtant les mentalités ne sont pas encore prêtes à accepter cette révolution. D’ailleurs, le seront-elles en 1880 ?…
Par manque de moyens financiers, la Révolution n’a pas pu réussir à applique son système éducatif dont elle a pourtant jeté les bases. Le pouvoir reconnait d’ailleurs lui-même son insuccès. A ce propose, le préfet Dalphonse écrit dans son Mémoire Statistique du département de l’Indre, paru en l’an XII : (1803-1804).

« Nulle part, pour ainsi dire, les écoles primaires n’ont été instituées, et celles qui l’on été l’ont été si mal, qu’autant aurait valu qu’elles ne l’eussent pas fait (…) Dans les campagnes les habitations sont extrêmement éloignées les unes des autres ; les bras manquent, et l’on cherche à rendre utiles tous ceux dont on peu disposer.
Dès l’âge de six à sept ans, on confie aux enfants la garde des volailles ; on leur confie ensuite celle des troupeaux ; et aussitôt que leurs forces le permettent, on les associe aux travaux de la culture. Le temps paraît aux cultivateurs mieux employé ainsi, que s’il l’était à acquérir une instruction qu’ils n’ont pas reçue, et dont ils pensent que leurs enfants peuvent se passer, comme ils s’en passent eux-mêmes. Les maîtres d’école se trouveraient donc pour la plupart sans élèves, et par conséquent sans rétribution acquittée par eux. »

Préfet Dalphonse

Il appartient donc au XIXe siècle de consolider et d’édifier durablement ce monument de l’instruction primaire pensé et conçu à la fin du XVIIIe siècle. Cette construction ne se réalisera que très lentement.
En mai 1831, le recteur de l’Académie de Bourges présente au préfet de l’Indre « le triste tableau de l’enseignement primaire dans le département confié à son administration » : il n’y a toujours que 60 écoles et 191 communes sont encore privées de tout moyen d’instruction. Selon un simple calcul, il conclut qu’un élève sur 99 habitants est scolarisé. Aussi le recteur n’hésite-t-il pas à faire remarquer au préfet que son « département est un des plus arriérés dans la civilisation »…
D’après le nombre d’enfants scolarisés en 1832 et 1833, l’Indre occupe le 72è et 81è rangs français et atteint même le 84è en 1834. Cette situation critique n’évolue que bien lentement. D’après un classement des départements français selon le degré d’instruction au début 1865 des conscrits de la classe 1864, les deux départements berrichons figurent dans la 5è et dernière catégorie. Dans celle-ci, le nombre des illettrés dépasse le tiers et même la moitié. Avec 53,84% de conscrits ne sachant ni lire ni écrire, l’Indre arrive au 82è rang national tandis que le Cher, avec 54, 8%, se place au 84è. L’Ariège figure au 89è et dernier rang avec 66,65%. Est-il besoin de rappeler que la moyenne française est alors de 25,73% ?
Au XIXè, le Berry est situé dans la zone au sud de la diagonale Saint-Malo-Genève, formée essentiellement, comme le fait remarquer l’historien américain Eugen Weber, des régions « les plus retardataire en matière d’instruction ».

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Rédigé par

Emmanuelle Toudert

École du Louvre. Guide touristique.
Licence des métiers de l'édition et des ressources documentaires.
Master Art-thérapeute.
Baptisée à La Chapelle-d'Angillon, le village de mes racines, en toute humilité je fais un retour à ma terre. "Humilité" = humus, terre.