Fondation David Pérou 1999

Longtemps, l’Église ne tente que très discrètement de donner une identité propre au saint Jacques de La Chapelle. Elle se conforme en cela aux coutumes ancestrales qui exigent toujours de procéder avec prudence lorsqu’il s’agit de cultes locaux. Ce n’est qu’à partir de la fin du XIVe ou du début du XVe siècle qu’apparaît une première tentative discrète d’individualisation du saint local dans un calendrier d’un Bréviaire de Bourges : Au 19 novembre Jacques est donné comme « Iacobi conf. », un confesseur désignant un saint qui ne fut ni apôtre ni martyr. En 1444 un document parle cette fois de « saint Jacques l’hermitte, patron de lad. église » de La Chapelle. Là encore, il s’agit d’un document émanant de Saint-Sulpice. A Bourges à cette époque souffle en effet un vent de réforme, dans le cadre de ce qu’on l’on a coutume d’appeler la Pré-Réforme.

L’église Saint-Jacques

Buhot de Kersers, Alphonse

Les efforts s’intensifient après la Contre-Réforme, au moment de la reconstruction de l’église de La Chapelle. Intentionnellement, on choisit un autre emplacement, à l’autre extrémité de la ville, ce qui est très rare (en effet, les reconstructions se font le plus fréquemment sur les anciens lieux). L’historien La Thaumassière date de 1605 la consécration de cette nouvelle église, en présence de Maximilien de Béthune, duc de Sully qui avait vraisemblablement financé les travaux.

On plaça au-dessus du portail d’entrée la haute statue de l’ermite qui y figure encore. On mit dans la nouvelle église une grande toile où saint Jacques figure en ermite-jardinier, travaillant la terre avec sa bêche, et on diffusa largement les exemplaires d’une gravure semblable, images propres à séduire la population rurale.

De cette même époque encore doit dater l’aménagement de la grotte du moine au pied du mur du château, ultime témoignage de l’existence de l’église primitive, près de « la fontaine Saint-Jacques » et près de la porte Saint-Jacques qui ouvrait sur la ville.
Enfin, fut rédigé un Elogium historicum sancti Jacobi eremitae publié au siècle suivant, en 1657 par le père Labbe d’après, disait-il, un « vieux manuscrit de l’abbaye Saint-Sulpice de Bourges », aujourd’hui disparu. L’histoire du saint jardinier prend dès lors sa forme définitive.

Au IXe siècle, Jacques est un grec issu d’une famille noble. Ses études terminées, il choisit la carrière des armes pour défendre l’empire grec menacé. Il se fait remarquer dans une expédition contre les Musulmans. Puis vient l’hérésie des Iconoclastes, dirigée par l’empereur Léon V dit l’Arménien, au service duquel était Jacques. Jacques va-t-il lui aussi devenir hérétique ? Il est heureusement sauvé par son frère aîné qui le convainct d’entrer dans son couvent. Les deux frères décident de partir pour la France, via Jérusalem et Rome. Mais leur bateau fait naufrage entre Constantinople et Jérusalem et le frère meurt. Resté seul, Jacques continue de naviguer en Méditerranée où il lutte contre les Sarrasins. A Rome, le pape lui donne des reliques de saints martyrs (Cance, Cantien et Cantianille). Il se fixe à Gênes afin de mener une vie d’ermite. Là il effectue de nombreux miracles : il détourne les orages, arrête les inondations, suspend les pluies, protège les moissons et les vignes, rend la vue à une aveugle. Il reprend la route au bout de quatorze ans et traverse Lyon, puis Clermont et s’arrête en Berry où, à Bourges il fut admis au monastère de la Nef, future abbaye Saint-Sulpice. Mais il est toujours à la recherche du Désert où il rêve de vivre sa vie d’ermite. Il se retire alors à Berry-Bouy puis à Achères avant d’arriver en un lieu que lui donne le comte de Sancerre Robert et sa femme Agana, fille du comte de Bourges. Il s’installe donc à Saxiacum, Sasseau, sur les bords de la Sauldre, au nord de Bourges, avec son disciple Jean Gillon. Les deux ermites se construisent une cabane puis à l’aide de quelques aumônes ils élevèrent à côté une petite chapelle où ils placèrent les reliques qu’ils avaient apportées d’Italie. Mais impossible de rester seuls car à nouveau les miracles que Jacques provoquait se répètent. Il est doué du don de prophétie : il prédit l’irruption des Normands, la mort de Rodolphe archevêque de Bourges et la destruction de Saint-Sulpice laquelle fut en effet pillée et incendiée en 867. Robert et Agana visitaient souvent les pieux solitaires, leur faisaient porter chaque jour par un serviteur des mets de leur table. C’est là au milieu des privations et des austérités que après 2 ou 3 ans mourut le vénérable ermite… S’étant fait creuser une fosse dans sa chapelle, laquelle se mit spontanément à ses mesures, il s’y étendit et s’y éteignit doucement le 19 novembre 864.

Les habitations se groupèrent bien vite auprès du tombeau du saint, dans le domaine de Saint-Sulpice et formèrent le hameau de La Chapelle d’Angillon. Un culte s’instaura. En particulier, ses reliques, en temps de calamités publiques, étaient transportées, surtout aux Xe et XIe siècles, dans diverses parties de la province de Berry. Le biographe termine son récit en disant que « les faits et gestes de Jacques s’étaient conservés dans la mémoire des vivants plus fidèlement que s’ils avaient été écrits, et que l’on peut encore interroger les habitants de La Chapelle-d’Angillon ».

Des lectures répétées de cette Vie bien tardive devaient, en une ou deux générations, faire oublier définitivement le saint antérieur, qu’il convenait dorénavant d’aller honorer à Compostelle. Cette Vie fut d’ailleurs reprise par plusieurs auteurs dont Charles Le Bouyer, abbé de Saint-Sulpice en 1669 puis « Cholet, avocat au Parlement de Paris » en 1689. Il est possible que de cette époque date la confrérie Saint-Jacques, mais les documents manquent. En 1718, une assiette-bougeoir est gravée : « saint Jacques hermite, patron de La Chapelle-d’Angillon »… L’opération réussit, imparfaitement et lentement certes mais accélérée en 1741 par un moine de l’abbaye Saint-Sulpice qui traduisit en français la Vie de saint Jacques en l’abrégeant. Ce nouveau texte fut mis à la disposition de chacun des confrères de la confrérie, cette fois attestée : les archives de l’église conservent ainsi un exemplaire recopié en 1745 par l’un de ces confrères, Jean-François Cherrier.
Passée la tourmente révolutionnaire, le pèlerinage fut réactivé. Dès le 22 janvier 1804, Mgr. Mercy, archevêque de Bourges procéda à une reconnaissance des reliques, cachées par le curé Boursier, et autorisa la reprise du culte « de la manière qu’il était d’usage avant les termes de troubles ». Une autre authentification fut encore faite le 25 avril 1862 par Mgr. de La Tour d’Auvergne, archevêque de Bourges. L’Église semblait bien avoir définitivement chassé le corps de l’apôtre-pèlerin. Et pourtant…

Pour les fidèles, saint Jacques reste l’apôtre

Pour les fidèles, indifférents aux discours des ecclésiastiques, saint Jacques reste ce qu’il a toujours été, leur apôtre, intercesseur toujours à leur disposition, tout proche de chez eux. Compostelle est bien loin. En 1604 lorsque réapparaît non plus le corps de saint Jacques mais un simple morceau de crâne, mis dans un reliquaire doré, celui qui existe encore aujourd’hui, l’authentique, rédigée par les paroissiens, dit tout uniment :

"Ceci est du propre chefz de monsieur St. Jaque qui a esté osté par feu messire Pierre Butet dudy chef, durant les troubles, craigniant que le reste ne fut perdu. Faict 6e jour de jung 1604".

Cette appellation « monsieur saint Jacques » montre à l’évidence que l’usage est bien établi de ne parler que d’un saint Jacques unique sans autrement se soucier de le singulariser par rapport à celui de Compostelle, que les fidèles nomment souvent ainsi.
Un siècle plus tard, la confusion n’est toujours pas dissipée dans l’esprit des paroissiens car dans la procession de 1702 figurent des « pellerins chascun en manteau à la pellerine garnie de coquilles » dont il n’est pas dit qu’ils reviennent de Compostelle. On ne peut mieux prouver combien la promotion de Compostelle continuait malgré tout à s’exercer, en ce lieu où l’on ne pouvait que se raconter la légende galicienne, ainsi qu’en témoigne le costume du pèlerin traditionnel. Qui sait d’ailleurs si le saint Jacques de La Chapelle-d’Angillon n’a pas incité, en 1761 Jacques Villaudy et son ami François Pouillaud , de Saint-Martin-d’Auxigny, à accomplir le grand voyage, tellement rare et extraordinaire que, génération après génération, les familles gardent encore pieusement les souvenirs de ce pèlerinage, cape et papiers de route. Plus d’un siècle après, en 1878, une réparation au reliquaire entraîne un nouveau papier, signé seulement des membres de la fabrique qui, eux, écrivent :

 "Le 10 novembre 1878, nous soussignés… avons replacé dans le reliquaire de St. Jacques, patron de la paroisse, les ossements du crâne du même saint…" 

Les efforts de l’Église ont été vains, rien n’y fait !

L’oubli du Pèlerin. Le triomphe du Jardinier

Il fallait donc faire plus pour se conformer aux préceptes de Rome. En 1886 un curé du village, l’abbé Frédéric Borgès, avec l’approbation de l’archevêque Jean-Joseph Marchal (et peut-être même à son instigation) refonda la confrérie « Saint-Jacques de Saxeau » et surtout, deux ans plus tard, édita la Vie de saint Jacques qui se trouva diffusée largement partout. Signait-il la mort définitive du saint Jacques venu du Moyen Age ? D’une certaine manière oui, tout au moins dans le public. Plus récemment un autre curé, l’abbé Didelot (†1993) a redonné vigueur au culte – sur les bases officielles du XVIIe siècle reprises au XIXe siècle – pour le plus grand bonheur de ses paroissiens qui se sont constitués non plus en confrérie mais en un groupement fort voisin, une Association Saint-Jacques.


Rédigé par

Emmanuelle Toudert

École du Louvre. Guide touristique.
Licence des métiers de l'édition et des ressources documentaires.
Master Art-thérapeute.
Baptisée à La Chapelle-d'Angillon, le village de mes racines, en toute humilité je fais un retour à ma terre. "Humilité" = humus, terre.