Recueillis de bouche à oreille
Édition Royer
Collection : contothèque
©1994 C.C.B. Royer
ISBN 2-908670-22-4
Nombre de pages : 188
Format : 13,5×21 cm
Crédit photographique : 1ère de couverture Bernard Royer

Pages 11 à 16

Il est assez difficile de discerner exactement où commence et où se termine le conte pour laisser place à la légende ou à l’histoire.
Je n’ai donc pas la prétention de faire ici une étude comparative de tous ces textes, n’ayant d’autre but que de me reporter au temps où, enfant, tous ces « récits » me faisaient rêver… et parfois pleurer.
Mon intention est de sauver de l’oubli un certain nombre de ces « histoires »… Les unes étant tout à fait inédites, les autres aux thèmes connus, étant assez différentes de celles que j’ai déjà eues sous les yeux et qui me semblent, présenter un intérêt complémentaire.
Tout ce que mon père nous apporte, tout ce que je rapporte moi-même ici, a été effectivement transmis de bouche à oreille, et l’exactitude ne saurait être mise en doute.
Cette première publication est, si je puis dire, la conséquence d’un vœu !… Celui de rendre hommage à la mémoire de mon père, en réalisant maintenant ce qu’il n’a pu faire lui-même…
Il souhaitait depuis longtemps réunir en un seul volume, tous ses souvenirs d’enfance, des œuvres en prose ou en vers qu’il avait rangées parmi ses « Péchés de Jeunesse »…
Puis toutes ces histoires ou ces contes qu’il tenait de la bouche même des conteurs qui, le plus souvent étaient des gens de sa famille.
Mon père est né à Perassay (Indre) en 1875, il est décédé à Paris en 1951, sans avoir réalisé son projet… !
Ses proses et ses vers ont été déjà publiés çà et là, dans les revues et journaux locaux depuis plus d’un demi-siècle et cela sans aucune vanité, car la plupart n’était signée que de pseudonymes… Mais il a toujours éprouvé le besoin de s’exprimer par la plume.
Je me suis donc arrêté à ses « souvenirs », parmi lesquels j’ai extrait différents textes qui firent les délices de ma jeunesse, lorsqu’il me les contait de vive voix.
Les souvenirs de son « enfance paysanne », qui remontent à l’époque où les veillées étaient encore parmi les plus agréables moments des rares loisirs villageois, sont relatés ici, fidèlement, peut-être sous une forme trop littéraire et trop académique à mon gré, mais certaines tournures de phrases et des phrases elles-mêmes, parfois « boiteuses » de notre langage régional lui semblaient impossible à transcrire tel quel… « Il avait le souci le l’extrême simplicité et de la correction de la forme. »
Le style dit « patoisant » s’y retrouve quelquefois… Son but n’était cependant pas d’écrire des œuvres patoisantes (il y en a déjà tant) mais seulement de réunir des documents sous une forme littéraire acceptable qui ne puisse choquer.

De mon côté, tout ce que j’ai pu entendre dans ma jeunesse et recueillir est je pense, d’un tout autre caractère, ce qui n’était pas acceptable autrefois peut sans doute l’être à présent.
Je n’ai pas cherché à faire de la littérature, mais j’ai essayé de redonner les textes tels que je les avais entendus.
J’ai volontairement gardé le style des conteurs, volontairement je me suis abstenu de mettre des mots, des expressions, des tournures de phrases ou même des phrases entières entre guillemets pour rester dans l’atmosphère réelle (autant que possible) des récits que j’ai « vécus », en employant les termes que j’avais entendus, ceux qui à mon sens conservent toute la saveur et tout le caractère local.
A l’époque où je commençais à « avoir des oreilles », mes parents étaient instituteurs à Cuzion, dans le département de l’Indre, mais mon père était à la guerre : celle de 14 ; je ne savais pas très exactement de quoi il était question, j’étais dans les dix premières années de ma vie, et la guerre se bornait pour moi, comme tous les enfants de mon âge et de ma région sans doute, à entendre dire : « Untel a été tué à Tel endroit !… Quel malheur mes pour’mondes ! Cinq z-enfants qu’il avait… et son grand qui y est parti aussi !… ».
Si je me passionnais bien peu pour toutes les « histoire de guerre », j’étais très fortement attiré par les histoires fantastiques, impressionnantes et combien merveilleuses que me disait et me redisait un de nos vieux voisins.
Nos deux jardins n’étaient séparés que par une simple « bouchure », un trou dans les ronces servait habituellement de passage aux chiens errants, (il y en avait beaucoup en ce temps-là et nous les appelions des « chiens enragés » sans exception). Ce trou me servait à moi aussi, pour me sauver dans le jardin de notre vieux voisin qui était connu surtout sous le sobriquet de « Père Biquette » !… Pourquoi !… Mystère !… D’ailleurs sans trop en connaître l’origine, tout le monde à Cuzion avait un sobriquet pas toujours flatteur ni souvent très agréable à porter.
Dès l’école terminée et mes devoirs faits, (lorsque je voulais bien les faire), aux beaux jours bien entendu, je me hâtais de me faufiler par le « trou à chiens » et d’aller rejoindre mon vieil ami le Père Biquette que je retrouvais invariablement assis sur un fagot de sarments au pied d’un grand poirier tordu et tourmenté par les ans.
– Regarde ! me dit-il un jour en me voyant arriver et me montrant de son bâton une grosse boule de mousse enroulée dans les feuilles, se balançant au bout d’une branche très basse…
– Les petits son « éplis » depuis c’matin ! Tu peux y aller voir à présent.
Sans avoir à me hisser beaucoup sur la pointe des pieds, j’apercevais six à huit petits becs roses, affamés, baillant à mon approche.
– Qu’est-ce que c’est ? lui demandais-je.
– Ah ! Ça… mon p’tit gâs, t’en as sûrement jamais vu d’aussi près !… C’est une nichée de mésanges couturières !… Si j’avais fait voir ça avant qu’les p’tits soyent éplis, la mère arait sûr’ment abandonné son nid ! Tu penses… j’l’ai vu bâtir !
– Mon jardin, ajoutait-il avec un certain orgueil, c’est le paradis des oiseaux !…
… C’était aussi le mien pour une foule de raison !…
Tout près de moi, appuyé sur son bâton, il me disait encore :
– Lève la tête tout doucement et fais pas d’bruit…
A deux mètres à peine, au-dessus de nos têtes, la mère, une délicate mésange, haletante, frémissante, posée sur une branche nue, ne bougeant pas, nous fixait de ses deux petits yeux noirs remplis d’anxiété…
– Tins ! interrompait-il, en manière de laisser la paix à « ses » oiseaux, vins don’t’assite en couté d’moi sus ton banc !… Ce qu’il appelait « mon banc » n’était autre qu’un deuxième fagot de sarments, plus petit que le sien, qu’il avait mis là, près du grand poirier, exprès pour me servir de siège…

Une fois installés tous les deux, lui assis en face de moi, de dos appuyé contre le tronc rugueux de l’arbre, les deux mains posées sur le gros bout de son bâton et moi en face de lui, il commençait à prendre « son air mystérieux » et me disait… comme à chaque fois d’ailleurs, c’était devenu à peu près rituel :
– J’vas t’dire la suite d’hier !… Où c’est-y qu’on en était resté ?
Je n’avais pas besoin de réfléchir longtemps, et très impatient, je lui soufflais !…
– Ah ! oui ça y est, j’y suis… « Quel est donc cet effrayant château noir ? demanda le Prince à sa jeune épousée ?… « .
– Ce château ? répondit la fille du Roi, est celui dont on ne sort jamais une fois qu’on s’est risqué à l’intérieur, personne n’a pu dire à qui il appartenait ni ce qu’il y avait dedans, car tous ceux qui ont osé y pénétrer n’en sont jamais revenus !…
Cette réponse ne fit qu’aiguiser la curiosité du Prince et, se dit-il, je n’aurai de sommeil tant que je ne l’aurai visité !…
Aussi dès le lendemain, résolut-il d’y partir seul, avant le lever de sa femme…
– Attends voir que j’me mouche, j’caus’rai mieux après…
Je restais bouche bée, attentif à la reprise de l’histoire… Mon vieux Père Biquette se mouchait, dans un grand mouchoir de « priseux », lentement, sans se presser, et non moins lentement, il essuyait ses moustaches et sa barbe… comme pour faire durer le plaisir… de me voir attendre, et comme pour ménager ses effets.
– Eh ! ben, la suite ?
– Ah ! t’es ben l’diab’ si pressé aujourd’hui ! c’est pas ‘core nuit, t’as ben l’temps d’savoir la suite !… Puis, il sortait de son gousset sa vieille tabatière queue de rat, en extrayait deux bonnes pincées qu’il plaçait délicatement sur le dessus de sa main, juste dans le petit creux qui se forme quand on relève le pouce… et toujours avec lenteur, humant quelques secondes son tabac à priser, le reniflant ensuite en deux fois, bruyamment, puis me regardait d’un air… d’un air de quelqu’un qui va éternuer… Et il éternuait !
Immanquablement, il en était ainsi chaque jour.
– Ah ! ça va mieux à présent !… On en était où ?… Ça y est, j’y suis : Au moment où le Prince s’en va tout seul au grand château noir, il y trouva le pont-levis baissé…
Subitement, les choses en restaient là, ma mère venant de tout interrompre en m’appelant pour aller souper…
Et je devais attendre encore au lendemain pour savoir ce que le Prince allait faire dans le grand château noir !
Pardi !… Je le savais depuis longtemps ! Mon vieux père Biquette m’avait raconté au moins vingt fois l’histoire de la « Bête à sept têtes », ainsi que beaucoup d’autres… Mais à chaque fois j’avais autant de plaisir à les entendre et… autant de frissons à me représenter des choses aussi invraisemblables que celles que j’entendais !
Cependant je les imaginais aisément !… Le Père Biquette avait un tel don de conteur, une telle façon si intensément dramatique de dire certains passages, que j’en oubliais tout ! J’oubliais qu’il était seul à dialoguer, contrefaisant sa voix pour chaque personnage, jouant littéralement des scènes entières à lui seul !…
J’en oubliais tout et je m’en oubliais moi-même… Je me voyais Prince, je me croyais « Jeannot le Chanceux »… en un mot, j’en perdais comme on dit « le boire et le manger », aussi impatient que j’étais de toujours connaître du nouveau !
« Mon » Père Biquette, à cette époque, avait bien au moins quatre-vingts ans, (à quelques années près, il devait être né vers 1842) alors que moi-même j’en avais à peine dix…

Le temps a passé… et que d’évènements depuis ! Mais je suis sûr qu’aussi longtemps que je vivrai, j’aurai toujours le son de sa voix et ses intonations dans mon oreille, et je reverrai toujours sa belle tête de vieillard à barbe blanche… Une barbe en broussaille paraissant aussi en friche que le jardin qu’il n’avait plus la force de cultiver entièrement !
Une dizaine d’années plus tard, j’ai commencé à m’intéresser sérieusement à tout le passé et au présent de ma région.
Le Berry me tient à cœur… Rien ne pouvait me passionner autant, et actuellement encore, rien ne retient davantage mon attention !
Si personne, avant notre époque, n’avait eu le bon goût de recueillir et de publier ce riche patrimoine traditionnel, qu’en resterait-il à présent ?
Les conteurs n’existent pour ainsi dire plus, les chanteurs de tradition disparaissent à leur tour, plus rien, hélas ! ne restera bientôt de toute cette littérature populaire vivante qui berça notre enfance en se transmettant de bouche à oreille.

Pierre Panis – Janvier 1954

Bercé dés l’enfance dans le merveilleux et la tradition que lui contaient son grand-père instituteur, son père instituteur aussi, son oncle Louis Boury, bûcheron et poète et son vieux voisin le père Biquette, Pierre Panis devait consacrer sa carrière, pour ne pas dire sa vie, au folklore de son pays natal le Berry.
Appelé au titre de « Conseiller Technique et Pédagogique d’Arts et Traditions Populaires » par le ministère de la Jeunesse en 1945, il partageait ses activités entre les provinces de France et de nombreux pays étrangers pour y enseigner cette science bien discréditée aujourd’hui et pourtant toujours présente, le folklore.
Mais il est bien évident que sa vraie passion restait sa province. Attaché par sa famille puis par son mariage au département de l’Indre, il y effectua de nombreuses recherches, y recueillit danses, chants, musiques traditionnels pour les transmettre aux jeunes de l’époque. Retenu à PARIS par son ministère, il y créa le groupe « LE BERRY » qui fêtera bientôt son cinquantenaire, non sans avoir dirigé son groupe folklorique à LA CHÂTRE et avoir travaillé avec les sociétés folkloriques existantes.
Il « émigra » ensuite dans le Cher, c’est-à-dire le Haut Berry où ses recherches et enquêtes le conduisirent vers la région de La Borne, précisément et surtout au hameau des Grandes Poteries, d’où viennent la plupart des bourrées d’hommes que dansent aujourd’hui tous les amateurs de folklore. La grande période des stages allait commencer ! Stages de pionniers qui couchaient « au foin », cassaient la croûte chez l’habitant ou au café du village. Madeleine Surnom a connu cette époque avant de créer à Bourges le groupe « NOTRE BERRY » et c’est aussi auprès de Pierre Panis que Roger Pearon devait, selon sa propre expression : « attraper le virus du folklore » qui le conduirai tout droit aux Thiaulins de Ligniéres.
Mais cette vie de pionniers ne pouvait s’accorder avec la rigidité de l’administration ; les stages devaient être plus normalisés et Le PONT-CHRÉTIEN avec son château et ses dépendances remplaçait les Grandes Poteries. Ce fut la venue de groupes étrangers, les journées de folklore international et cette superbe vie collective dont certains gardent encore la nostalgie.
L’âge de la retraite arrivait. Pierre Panis allait avoir le temps d’écrire, de mettre en ordre tout ce qu’il avait collecté, recueilli… Il était trop tard… Ce sont ses enfants et son épouse qui reprendront son œuvre.


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Rédigé par

Jean-Louis Chabin

Agriculteur à la retraite. Détenteur de transmission orale.