
Photographie prise sur le groupe des invités au mariage de sa nièce en 1935
• Arrestation le 28 septembre 1943
• « Détention d’armes de guerre »
• Ellirich une annexe du camp de Dora
• Le camp de Buchenwald
• Comment a-t-il pu tenir ainsi ?
• Mobilisé et incorporé en 1915 jusqu’en 1919, il a reçu la croix de guerre
• Que reste-t-il de cette existence ?
Habitant Vierzon, j’ai participé à la collecte de témoignages réalisée dans le cadre du 80ème anniversaire de la libération de la ville. Grâce aux échanges avec les historiens organisateurs de cette collecte, j’ai eu accès à des documents concernant mon arrière-grand-oncle : Charles Doucet, né à Ivoy-le-Pré, mort en déportation en 1944.
Je savais, par la mémoire familiale qu’il avait été résistant, arrêté en même temps que Roger Lesourd, torturé, déporté, et qu’il était mort comme lui à Buchenwald. Je savais aussi un certain nombre de choses sur sa vie et les conditions de son arrestation.
Grâce à Catherine Poncelet, l’organisatrice de la collecte, j’ai pu accéder, sur Internet, à un certain nombre de documents qui m’ont appris ce que j’ignorais :
• la date et le lieu de son décès en déportation,
• la date et le numéro du convoi qui l’a emmené en Allemagne,
• la liste des déportés de ce convoi,
• ainsi que l’action de résistance qui a conduit à son arrestation.
Arrestation le 28 septembre 1943
D’après le livre-mémorial des déportés du Cher, il a été arrêté le 28 septembre 1943
Motif : « détention d’armes de guerre », emprisonné à Bourges, Orléans, interné au camp de Royallieu à Compiègne, puis déporté fin janvier 1944 à Buchenwald, matricule 44223, puis transféré en mars à Dora puis au Kommando Ellrich, décédé le 8 décembre 1944 à Ellrich.

« Détention d’armes de guerre »
Un passage du livre Combattants de la Liberté de messieurs Pigenet & Cherrier parle de son rôle après le parachutage d’armes aux Fontaines sur le domaine de M. Lesourd. Charles Doucet s’est occupé de faire passer ces armes de guerre aux FTP par l’intermédiaire de l’instituteur de l’école de Bréviandes.
Ellrich une annexe du camp de Dora
Je confie que j’ai été émue par la découverte de ces « détails » que j’ignorais. D’abord par le fait qu’il ait été transféré à Dora (j’ai lu le livre Dora Le tunnel de la Mort il y a longtemps et ce nom de Dora reste pour moi très connoté) et qu’il soit mort en décembre 1944, ce qui signifie qu’il a tenu presqu’un an dans ce camp. À Ellrich plus précisément une annexe de Dora dont j’ai appris, grâce à Madame Poncelet, que c’était un des pires endroits pour les déportés.

C’est là que les nazis ont décidé de creuser une multitude de tunnels et installations souterraines pour leurs usines d’armement et en particulier l’assemblage des V1. Tous les documents que j’ai consultés parlent de l’enfer d’Ellrich, le pire camp y compris pour les détenus ayant connu d’autres enfers avant celui-là. Un des documents mentionne le transfert de Charles sur un des chantiers de creusement souterrain près de Dora, Anhydrit, là où les détenus vivaient jour et nuit sous terre…

Le camp de Buchenwald
Je me suis documentée sur le camp de Buchenwald et j’ai appris que les détenus politiques allemands avaient pris le contrôle de l’administration interne du camp de Buchenwald et que des actions de résistance avaient commencé de s’y mettre en place. Un comité des intérêts français s’est mis en place en juin 1944, les déportés français étant auparavant marginalisés par le comité international tenu principalement par les détenus communistes allemands. Ces comités permettaient à certains détenus d’être « protégés », de ne pas être envoyés sur les postes de travail les plus durs. Mais en juin 1944, c’était trop tard pour Charles. Il avait été transféré à Dora, il n’avait, à l’évidence, eu aucune aide pour échapper au pire des camps.

Comment a-t-il pu tenir ainsi ?
Ainsi donc, l’année de ses 50 ans, Charles a tenu 11 mois en enfer pour mourir en décembre 1944 à Ellrich, là où la durée moyenne de vie d’un détenu dépassait rarement les 4 semaines (cf. Stéphane Hessel préface de Ellrich 1944-1945). J’aurais préféré apprendre qu’il était mort très vite après son arrivée à Buchenwald. Comment a-t-il pu tenir ainsi ? Courage exceptionnel, rage de vivre, ou simplement hasard (je n’ose pas dire chance) ? En décembre 1944, Ivoy-le-Pré et son Berry natal étaient déjà libérés de l’occupant. A-t-il su, avant de mourir, que les alliés étaient en train de gagner la guerre ?
Mobilisé et incorporé en 1915 jusqu’en 1919, il a reçu la croix de guerre
Toutes ces découvertes m’ont émue donc. J’ai pris conscience aussi, que né en 1894, il avait eu 20 ans en 1914. Les fiches militaires sont consultables en ligne aux archives départementales, j’ai donc pu vérifier qu’il avait été mobilisé et incorporé en 1915 jusqu’en 1919 et qu’il a reçu la croix de guerre pour un acte de bravoure. Il a été rappelé à l’activité en 1939, puis en avril 1940 avant d’être démobilisé en juillet 1940.

Voilà une existence tragiquement marquée par la guerre.
Que reste-t-il de cette existence ?
Et de cette existence, à ma connaissance, il ne reste rien que son nom inscrit parmi une liste de noms dans les archives de la Résistance et sur les documents soigneusement remplis par l’administration des camps nazis, auxquels on a accès dans les archives de Bad Arolsen. La seule trace qui ne se limite pas à un nom et quelques dates et lieux se trouve dans le livre sur la Résistance dans le Cher de Michel Pigenet cité plus haut. Et encore, il y est présenté comme le « tueur de cochons », ce qu’il était effectivement par sa formation de charcutier, mais pas seulement. Il avait été aussi représentant de commerce entre autres…
Il ne reste donc presque rien de cette existence. Il était célibataire, sans enfant. Hors de sa famille, personne n’a entendu parler de lui. Et excepté ma sœur et moi, il n’y a sans doute plus de petits-neveux qui se souviennent de lui.
C’est pourquoi au vu de ces découvertes que j’ai faites, en 2024, année du 80ème anniversaire de la Libération et de sa mort, j’ai décidé de transmettre un certain nombre d’informations sur lui au musée de la Résistance et de la déportation à Bourges.
Et puisque Charles est né et habitait à Ivoy-le-Pré, j’ai pensé que cela pouvait peut-être intéresser aussi ceux qui ont organisé cette exposition sur le maquis d’Ivoy-le-Pré.
Je joins à mon témoignage quelques-uns des documents qui figurent aux archives du Cher ou aux archives de Bad Arolsen, sa carte remplie à l’arrivée au camp de Buchenwald en janvier 1944, sa carte de Dora en mars et un photographie prise sur le groupe des invités au mariage de sa nièce en 1935. C’est la seule photographie dont je dispose.
Marie-Claude Montégu, arrière-petite-nièce de Charles
Un clic sur les images et les liens renvoie aux sites concernés
Les témoignages sont importants pour les plus jeunes générations. Merci madame
Excellent témoignage merci Madame !!!
Vous êtes sa mémoire, grâce à vous votre oncle n’est pas oublié !