Saint Jacques de Saxeau par Marie-Madeleine Martin
Page 7 – 1999
Pour les autos lancées comme des bolides, et qui empruntent la route fendant le village en deux dans une projection parfaitement rectiligne, ce n’est pas grand-chose que ce petit pays : quelques maisons marquées par la désolante banalité que le 19e siècle apportait dans les façades ; deux postes d’essence, plusieurs relais d’auberge, des cafés multiples… Mais pour ceux qui acceptent de s’y arrêter, c’est tout autre chose : un carrefour de vieux chemins et d’une limpide rivière, des pans de murs romains autour de jardins noyés sous les roses, des puits à la margelle aussi antique qu’une crèche de Bethléem, la silhouette d’un château, malheureusement très remanié, mais qui fait rêver d’un lointain passé. Ce village, c’est le successeur des camps militaires romains et barbares, que l’on plaçait aux nœuds des chemins ou à la jonction des cours d’eau.
Si l’on se fie aux seules chartes médiévales, d’Angillon est la corruption des mots latins « seigneur Gilon », car la Chapelle d’Angillon, dans les chartes des XIIe, XIIIe siècles, c’est Capella domini gilonis, » la Chapelle du seigneur Gilon « . Gilon de Sully, au XIe siècle, après avoir restitué aux moines de St Sulpice de Bourges, la chapelle de l’ermite St Jacques, que ses aïeux avaient captée vers l’an 1000, érigea ensuite, en ces lieux, le donjon qui est la partie la plus ancienne du château d’aujourd’hui (1064-1086). Mais un lieu d’habitat de toute évidence, existait bien avant l’ermite saint Jacques (qui, à son arrivée au IXe siècle, trouva des ruines de monuments et demeures, éparses dans cette sorte de désert) ; et bien avant Gilon de Sully.
Le très ancien village du Saxeau, sur les bords de la Petite Sauldre, évoque les éclaircies de la grande forêt celtique, où les siècles avant notre ère, nos aïeux forgeaient le fer et organisaient de grands pâturages… Puis vient le temps de Rome, de ses fortifications sur les bords des rivières. Puis le Moyen Age des moines et des chevaliers…
…
Après le XVIIe siècle, le village connaîtra, comme presque tous ceux du Berry, une sorte d’effacement progressif, effacement qui se consommera lorsque la grande voie transversale qui le coupe sera construite aux 18e et 19e siècles. La centralisation parisienne achèvera de l’isoler, avec l’abandon des campagnes. La Grande Guerre lui enlèvera, comme à la majorité des villages français, une fraction importante de sa population active, et décidera de son déclin.
Mais c’est toujours un village français, de ceux où les hommes reviendront comme à des refuges, quand la foie des inventions mécaniques outrancières aura rendu la terre inhabitable. C’est un village dont les vieux habitants connaissent encore des coutumes datant des Celtes lorsqu’ils soignent leurs arbres et leurs vergers ; maintiennent des recettes de cuisine basées sur les escargots des vignes, les champignons des forêts profondes et du bord des sources magiques, sur les poissons jaillis tout frais de la rivière, c’est un village où le médecin et le pharmacien n’ont pu faire oublier les vertus des herbes médicinales de jadis, et même quelques usages de sorciers. C’est un village où quelques vieillards prononcent des mots, que l’on ne retrouve plus que dans les chansons du Moyen Age ou dans Rabelais. Et l’on pense aux vers de Péguy, le vieil ami d’Alain-Fournier, auteur du Grand Meaulnes, pour caractériser certains jours dans ce village perdu :
Et comme on ne sait pas, quand une année est belle,
Ce qu’on aime le mieux, si c’est les giboulées,
Ou, si c’est le retour de la noire hirondelle,
Ou si c’est le réseau des peines déroulées ;
Et comme on ne sait pas, quand une année est belle,
Ce qu’on aime le mieux parmi tant de beautés,
Ou du printemps volage, ou de l’été fidèle,
Ou des graves hivers, ou des graves étés…