Fascicule du concours agricole de 1969 page 13

• Pour les autos lancées comme des bolides et qui empruntent la route fendant le village en deux, dans une projection parfaitement rectiligne, ce n’est pas grand’chose que ce petit pays : quelques maisons marquées de la désolante banalité que le 19e siècle apportait dans les façades ; un poste d’essence, un relais d’auberge que la vitesse permet à peine d’apercevoir…

Mais pour ceux qui acceptent de s’y arrêter, c’est tout autre chose : un carrefour de vieux chemins et d’une limpide rivière ; des pans de murs romains autour des jardins noyés sous les roses ; des puits à la margelle aussi antique qu’une crèche de Bethléem, et la silhouette d’un château dont le plan révèle encore ce que furent les camps militaires des Romains, puis des Barbares, et que l’on plaçait aux nœuds des chemins, ou à la jonction des cours d’eau. (Le mot latin castrum est la racine exacte du vocable : castellum, dont la langue française a fait : château).

C’est tout simplement l’un des plus vieux villages de France : un village tellement enraciné dans les souvenirs et, à certaines époques, tellement plongé dans la grande Histoire, que le petit Alain-Fournier, après y être né à la fin du dernier siècle, y apprit à construire une légende de l’adolescence éternelle : le Grand Meaulnes.

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Le nom même du village, si ancien qu’il soit, ne révèle pas encore la vérité sur ses origines les plus lointaines.
La CHAPELLE, c’est apparemment le nom dû à l’ermite Saint Jacques, grand personnage de la cour de Byzance au 9e siècle, et venu s’enivrer de silence et de prière, au milieu des forêts profondes, sur les bords de la Petite Sauldre, presqu’au moment évoqué par nos plus anciennes Chansons de Gestes :
Quand de comte Roland mourait pour Charlemagne.

L’oratoire bâti par saint Jacques fut le centre d’un petit groupe de cabanes, qui devient par la suite, un village (pèlerinage de St-Jacques : le 19 novembre, depuis des siècles).

D’ANGILLON est la corruption des mots latins, Seigneur Gilon, (dominum Gilonem). Gilon de Sully, après avoir restitué aux moines de Bourges la chapelle de St-Jacques (que son aïeul avait capturée vers l’an 1000), érigea ensuite, en ce lieu de pèlerinage déjà célèbre, la formidable tour carrée de pierre qui subsiste encore aujourd’hui (elle est, avec la tour de Chârost, le plus ancien monument d’architecture militaire du département du Cher).

Mais La Chapelle-d’Angillon, de toute évidence, existait bien avant l’ermite saint Jacques, et bien avant Gilon de Sully.
Le très ancien village du SAXEAU, sur les bords de la Petite Sauldre, évoque ces éclaircies de la grande forêt celtique où, des siècles avant notre ère, nos aïeux forgeaient le fer et aménageaient de grands pâturages…
Et il est fort possible que le Saxeau ait été l’une de ces vingt bourgades, dont parle César dans « la Guerre des Gaules », l’une des vingt bourgades que les Bituriges livrèrent aux flammes, au moment du siège d’Avaricum (Bourges), pour affamer l’armée romaine…

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Par la suite, La Chapelle-d’Angillon vit passer bien des personnages célèbres. Au XVe siècle, quand le royaume de France n’est plus que le royaume de Bourges, au temps de Charles VII et de Jeanne d’Arc, le château de la Chapelle appartient à Charles II d’Albret, qui épouse la fille de Bernard d’Armagnac, l’un des chefs des deux factions qui divisent alors la France (Armagnacs et Bourguignons). Ce Charles d’Albret sera l’un des principaux compagnons de Jeanne d’Arc, pendant plusieurs mois.

Puis, la famille d’Albret, installée au château, s’allie aux puissants ducs de Nevers (ce sont eux qui importeront dans la région le secret de fabrication des faïences italiennes). Un duc de Nevers jouera un rôle important, à Paris, près de Catherine de Médicis, au moment des Guerres de Religions.

Enfin, le château est acheté, au début du XVIIe siècle, par l’un des plus grands hommes d’État que la France ait jamais possédés : Maximilien de Béthune, marquis de Rosny, duc de Sully, pair de France ; celui que l’Histoire appelle « le Grand Sully ». Il donnera au château le nom de château de Béthune, qu’il porte encore aujourd’hui. Il construira, à quelques miles de La Chapelle-d’Angillon, une ville nouvelle, greffée sur l’ancien bourg de Boisbelle : Henrichemont.

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Après lui, le village connaîtra, comme presque tous ceux du Berry, une sorte d’effacement progressif ; à cause de la construction de la grande voie transversale qui le coupe, depuis le 18e siècle. Puis la centralisation parisienne et la construction du réseau des chemins de fer achèveront de l’isoler, avec l’abandon des campagnes.

La Grande Guerre lui enlèvera, comme à la majorité des villages français, une fraction importante de sa population active et décidera de son déclin.

Cependant, La Chapelle-d’Angillon garde son titre de canton, auquel se rattachent les villages (également très anciens et jadis célèbres) d’Ivoy-le-Pré, de Presly, d’Ennordres, de Méry-ès-Bois. Des services nombreux d’autocars remplacent les chemins de fer supprimés. L’ensemble de la population laborieuse travaille à Aubigny ou à Bourges…

C’est un village français, de ceux où les hommes d’aujourd’hui reviendront comme à des refuges, quand la folie des inventions mécaniques outrancières aura rendu la terre inhabitable !…

C’est un village dont les plus vieux habitants connaissent encore des coutumes datant des Celtes ; des recettes de cuisine basées sur les escargots des vignes, les champignons des forêts profondes et du bord des sources magiques, les poissons jaillis tout frais de la rivière ; c’est un village dont le médecin et le pharmacien n’ont pu faire oublier les vertus des herbes médicinales de jadis et même quelques usages de sorciers. C’est un village où quelques vieillards prononcent des mots que l’on ne retrouve plus que dans les chansons du Moyen Age ou dans Rabelais… Et l’on pense aux vers de Péguy, le vieil ami d’Alain-Fournier, pour caractériser certains jours, vécus dans ce village perdu :

Et comme on ne sait pas, quand une année est belle,
Ce qu’on aime le mieux, si c’est les giboulées,
Ou si c’est le retour de la noire hirondelle,
Ou si c’est le réseau des peines déroulées ;

Et comme on ne sait pas, quand une année est belle,
Ce qu’on aime le mieux parmi tant de beautés,
Ou du printemps volage, ou de l’été fidèle,
Ou des graves hivers, ou des graves étés.

Charles Péguy

Texte de Marie-Madeleine Martin
Chartiste et historien
Grand Prix Gobert de l’Académie française
Conservateur du Château de Béthune

Rédigé par

Lila Bacha

Maîtrise en droit administratif, gestionnaire de concours au ministère de la culture, bureau du recrutement des concours et d'examens professionnels