Berry Magazine – août 1991 – page 16

L’auteur de « l’été grec » a voulu s’asseoir sur le même banc qu’Alain-Fournier dans l’école d’Epineuil, aller à La Chapelle-d’Angillon et à Nancay pour comprendre comment le « réel berrichon » est devenu le monde merveilleux du « Grand Meaulnes ».

Qui n’est pas aujourd’hui fasciné par un pupitre de bois bien buriné ? Ces meubles que la furie moderniste des années 50 a fait reléguer dans des arrières boutiques ou rejeter sur les buchers font aujourd’hui fureur chez les antiquaires.
Gosse, l’écrivain Jacques Lacarrière a usé ses fonds de culotte (expression consacrée) sur les bancs fixes. Il a probablement aussi gravé des mots dans le bois, lui qui aime tant jouer avec le vocabulaire, qui est si amoureux de la langue.

En séjournant à Epineuil-le-Fleuriel pour les besoins d’un livre sur Alain-Fournier, Jacques Lacarrière a retrouvé son âme d’enfant. « Pour avoir fait mes premières classes dans une école semblable à celle d’Epineuil, dans un quartier populaire d’Orléans où la nature était encore aux portes de la ville et même dans la cour ombragée par de beaux tilleuls et de hauts marronniers, pour avoir grandi dans cette atmosphère studieuse et intime (nous n’étions pas nombreux à l’époque, jamais plus de vingt par classe et nous nous connaissions bien, enfant du même quartier), pour avoir connu tour à tour les mêmes heures d’ennui et de joie entre le tableau noir et l’horizon entr’aperçu par les fenêtres, j’eus l’impression, la première fois que je lus le « Grand Meaulnes », vers l’âge de quinze ou seize ans, de revivre exactement ces heures d’une enfance écolière et partiellement buissonnière, faites des mêmes odeurs d’encre et de craie, encens laïque des classes d’antan. »

Epineuil-le-Fleuriel, c’est le village du sud du Cher – entre Berry et Bourbonnais – où le jeune Alain-Fournier a étudié à l’école primaire, de 1891 à 1898. Ses parents, qu’on reconnait dans « Le Grand Meaulnes » sous les traits de M. et Mme Seurel, étaient instituteurs et occupaient l’appartement contigu à la salle de classe.

Les années d’enfance sont capitales pour tout être humain et plus particulièrement encore pour un futur écrivain. Le jeune Henri Fournier – il ne s’appelait pas encore Alain-Fournier – avait à Epineuil-le-Fleuriel le bel âge de dix ans. Il a enregistré là la géographie du lieu qu’on retrouve assez fidèlement décrite dans le roman, mais aussi, et c’est le plus important, tous les parfums subtils de l’enfance.

Jacques Lacarrière est venu remettre ses pieds dans les pas du jeune écrivain et tenter de comprendre comment, par quelle alchimie, le monde réel et prosaïque côtoyé par le jeune Fournier est devenu l’univers merveilleux du roman.

« …La recherche ou le repérage des lieux exacts où se déroule tel ou tel épisode du « Grand Meaulnes » ne sont nullement nécessaires à la compréhension intime de l’œuvre, considère Lacarrière. N’importe quel château pourvu qu’il soit entouré de forêt et perdu au fond d’une allée de sable et de bruyères pourrait servir de cadre et de modèle au Domaine Mystérieux. Quand un créateur véritable (ce qui est le cas d’Alain-Fournier) dispose du pouvoir de susciter le merveilleux par les mots, les images, les réalités les plus simples, il n’a nul besoin de recourir à des matériaux et à des événements fantastiques. Après tout, poursuit Lacarrière, un mythe une légende ne sont, comme tout récit, qu’un assemblage de mots, d’images, de personnages et d’évènements ».

Mythe, légende, les grands mots sont lâchés ! C’est pourtant de cela dont il s’agit. Car « Le Grand Meaulnes », un des romans les plus lus et les plus traduits au monde, est devenu un mythe. Deux cents et quelques pages, en livre de poche, pour faire rêver des millions d’adolescents, mieux qu’un poster de Madonna ! Tout le talent d’Alain-Fournier dont « Le Grand Meaulnes » est la seule œuvre notable, est intervenu pour transformer le réel berrichon et solognot et le faire accéder à une autre dimension.

Jacques Lacarrière ne limite pas son enquête à Epineuil-le-Fleuriel. L’auteur de « l’été grec », remontant la piste parallèle d’Alain-Fournier et d’Augustin Meaulnes s’arrête à La Chapelle-d’Angillon (la maison natale) et à Nançay (la maison de l’oncle Florent où Alain-Fournier passe chaque année une quinzaine de jours en automne, au moment de la chasse). Puis il y a la Sologne une contrée qui est familière à Jacques Lacarrière.

« L’errance d’Augustin Meaulnes, écrit-il commence dans le Berry, se poursuit en Sologne (à une centaine de kilomètres d’Epineuil !) pour aboutir au Domaine Mystérieux qui, lui, se situe en pleine utopie, sur la carte du Tendre. En suivant cette errance, nous sommes passés, sans même nous en apercevoir, du réel à l’imaginaire, du terroir à la légende, grâce au fil invisible tendu sur notre route par le talent de l’auteur. »

« l’enfance est certainement plus grande que la réalité » a écrit Gaston Bachelard. C’est précisément ce que nous montre le bouquin de Jacques Lacarrière en même temps qu’l nous invite à retourner boire à la source merveilleuse du « Grand Meaulnes ».

Jean-François Donny

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  • Date de parution 01/01/2003
  • Editeur Christian Pirot (Editions)
  • ISBN 2-86808-193-2
  • EAN 9782868081933
  • Présentation Broché
  • Nb. de pages 160 pages
  • Poids 0.305 Kg
  • Dimensions 13,5 cm × 21,0 cm × 1,2 cm

Rédigé par

Emmanuelle Toudert

École du Louvre. Guide touristique.
Licence des métiers de l'édition et des ressources documentaires.
Master Art-thérapeute.
Baptisée à La Chapelle-d'Angillon, le village de mes racines, en toute humilité je fais un retour à ma terre. "Humilité" = humus, terre.